OVH AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

La véridique histoire

du

CÉRÉBRO-SCRIPTEUR


— 9 —

Où la terrible idée d’un enlèvement de son épouse ne laisse nullement indifférent l’ingénieur J-P.F.

(Episode précédent)


Une espionne, Jika ? Elle, l’amour de sa vie ?

Impossible ! C’eût été vraiment aux antipodes de sa tendresse et de sa fidélité ! Il la revoyait s’appliquant à bien penser, la veille très tard, lorsqu’ils avaient commencé d’enregistrer sur le CRRS ses premiers balbutiements cérébraux. Avec quelle docilité elle l’écoutait lui exposer comment elle devait conduire son esprit !

« N’oublie pas, Jika, et concentre-toi bien :

1/ Ne songe à aucun mot sans le prononcer intérieurement ;

2/ N’en prononce aucun sans en visualiser la graphie ;

3/ Chaque concept qui te traverse doit s’épeler dans ton esprit ;

4/ Formule ta pensée et rien que ta pensée ;

5/ Ne pense qu’en usant des phrases les plus brèves, pour faciliter leur transcription », etc.

Il se remémorait encore leur voyage de noces, leur naïve confiance réciproque.

Jika, jouant les espionnes, était-ce simplement pensable ? Quelle histoire ! C’eût été à se demander si la Femme pouvait être double !

Il ne s’était jamais confronté à un objet de recherche aussi vaste. Mais voilà que doté d’un cerveau allant toujours au fond des choses, il se surprit une seconde à se poser à voix haute la funeste question : La femme est-elle double ?

Et si elle l’était, se pourrait-il même qu’elle le fût à son insu ?

Mais l’homme n’était-il pas double, lui aussi ?

Il s’arrêta pourtant là. En vérité, le disque dur cérébral de l’Ingénieur Félix, quoique expert en langage binaire, n’était guère programmé pour résoudre de pareilles questions.

L’idée lui vint que l’une des réussites du Cérébro-scripteur serait peut-être d’élucider un jour la duplicité de l’esprit humain. Puis il fut repris par le doute infernal qui l’étreignait depuis les profondeurs de ses tripes jusqu’aux sommets de son hypothalamus : Jika, agent double ? Qui eût pu oser pareille pensée ?

Et pourquoi pas de mèche avec le colonel Limogeard, pendant qu’on y était ? On n’était pourtant plus à l’ère de feu Poutine !

Tout semblait aussi impossible que possible. Voyons : Jika espionne n’aurait eu aucun intérêt à fouiller partout, puisqu’il s’apprêtait à tout lui expliquer en détail, le CRRS, sa micro-technologie, ses fonctionnalités et son maniement. Une « agent double » avertie aurait attendu ces éclaircissements avant de s’emparer du CRRS et de fuir avec ses complices !

Il se figurait aussi, à l’inverse, la terreur qu’avait pu vivre la plus fidèle des épouses. Jika avait-elle pu être menacée, et même brutalisée par ses ravisseurs ? Et si elle n’avait guidé leur fouille des lieux que pour mieux les égarer et rendre leur perquisition infructueuse ? Ils l’auraient alors prise en otage ! Ils allaient bientôt faire connaître leurs exigences… Ils ne la libéreraient qu’en échange de son invention. Mais dans quel état allait-il la retrouver ?

L’angoisse le terrassait.

C’est alors que, dans son trouble, Jean-Pascal Félix eut subitement l’impression de percevoir en lui de vagues intuitions cérébrales, sinon apaisantes, du moins ouvrant des pistes d’accalmie. Des pensées venues de Jika ? Des perspectives lui redonnant confiance en leur amour, en l’avenir de leur couple…

À l’évidence, elle parlait en lui ! « Pense plus bas, pense plus profond, descends dans notre caverne intime, et tu me retrouveras », semblait-t-elle lui souffler avec à la fois ferveur, angoisse, et certitude. Tout se passait comme si leurs réflexions et leurs expériences avaient avivé et développé en chacun d’eux leur potentiel de télépathie mutuelle ! Mais que lui signifiait-elle exactement ? Et s’agissait-il bien de télépathie naturelle, ou d’une toute autre voix de tête, étrangère, opérationnelle, ayant pénétré en son for intérieur pour l’égarer ?

« Tant que cette voix me paraît distincte de la mienne, songea-t-il, je continue de savoir ce que je veux et pense par moi-même » ; mais aussitôt, il se mordit la langue : était-ce bien sûr ?

Que voulait donc dire « Pense plus bas ! » ? La pensée des hommes n’est jamais trop élevée !

Jean-Pascal fit réflexion qu’il avait toujours préféré séjourner dans les greniers que dans les caves. Dans les caves, certes, on boit en douce ; dans les greniers, en revanche, on rêve sans frein !

Cette réflexion lui inspira tout de même l’idée de descendre à la cave, seul lieu qu’il n’avait pas visité.

Et à juste titre !

Jika était là, bâillonnée, les mains et les pieds ligotés, mais assise tout de même dans un fauteuil, à la lueur d’une bougie.

Visiblement, les visiteurs l’avaient ménagée. Ils ne voulaient probablement que l’empêcher d’alerter la police trop tôt.

Pourquoi, alors ? Que s’était-il passé ?


(À suivre)


Le Songeur