OVH
Où l’on apprend que le CRRS, n’intéresse pas seulement les Autorités françaises, mais plus encore les Services secrets de nos Alliés ennemis.
Dans sa voiture, sonné par ce qu’il venait d’apprendre, Jean-Pascal n’en songeait pas moins aux aspects positifs de l’événement. S’il était vexant pour lui de s’être laissé piéger comme un enfant de chœur par un policier officieux, il ne pouvait que se féliciter de l’intérêt politique suscité par le « CRRS ».
Que, sous son nouveau képi de DRH, le colonel Limogeard fût un important responsable des services du contre espionnage français avait, certes, de quoi le rassurer. Celui-ci avait sans doute estimé qu’il était temps que Jean-Pascal fût averti de cette protection, et qu’il songeât à coopérer avec d’autres savants, moins avancés que lui, pour perfectionner le Cérébro-scripteur au service de l’État…
Proposition à laquelle JPF allait devoir sérieusement réfléchir, en accord avec JK, compte tenu des enjeux. La question allait être : devait-il livrer l’essentiel de ses recherches ? Et en échange de quoi ?
Au moment de retrouver son chez soi et sa tendre femme, il repensa aux diverses solutions qui s’offraient à lui pour expurger des enregistrements les grossièretés humiliantes issues de l’Inconscient, ainsi que ce « charabia » boueux qui rendait inaudibles ou illisibles les transcriptions du Cérébro-scripteur. Il imagina qu’un détecteur d’assoupissement pourrait suspendre sur-le-champ la fonction d’enregistrement du CRRS, qui se mettrait ainsi de lui-même « en veille ». Ou encore, que des filtres pourraient purger du flux cérébral toute pensée latente meurtrière ou pornographique, le problème étant alors de ne pas inhiber la pensée elle-même. À moins de cela, dans l’hypothèse où le CRRS était promis au même succès que le téléphone portable, il faudrait envisager une sorte de rééducation mentale des citoyens, aussi impérative que le permis de conduire. Toute représentation dégradante ou immorale serait dès lors éradiquée en germe. Vaste entreprise !
Restait à éclaircir l’autre question, non moins épineuse, de ces paroles interférentes qui surgissaient en son for intérieur, brouillant le cours et le discours de sa pensée volontaire. Leur origine ne pouvait pas être réductible au seul effet de pulsions inconscientes. Compte tenu de ce qu’il savait maintenant, ces voix apparemment internes, n’étaient pas incompatibles avec l’hypothèse d’un espionnage universel, voire d’un formatage pervers des cerveaux humains. À l’évidence, la plupart des pays étrangers s’étant peut-être lancés dans des recherches analogues aux siennes. Jean-Pascal concevait parfaitement qu’un commando ennemi tente un jour d’investir et de fouiller sa propre maison, pour lui dérober son cérébro, donc s’emparer de son cerveau. Et il l’imagina si bien qu’il ne fut pas trop surpris de voir, en entrant dans la cour de sa résidence, la porte du perron ouverte et toutes les lumières allumées, du rez-de-chaussée jusqu’à l’étage.
— Jika ! Jika ! s’exclama-t-il, en gravissant les marches.
Personne.
Les portes étaient ouvertes, les placards aussi. Tout avait été fouillé de fond en comble, les bibliothèques, les tiroirs, avec soin et avec ordre, méthodiquement. Son ordinateur avait disparu, enlevé avec son capteur d’ondes numériques (il en avait d’autres de rechange). Par bonheur, il portait sur lui son CRRS, et aucun descriptif de ses recherches et du fonctionnement de son appareil ne figurait dans ses archives. Les microfilms qu’il avait créés de ses fichiers (avant leur destruction) étaient toujours là, dans les semelles de ses mocassins (talon gauche). Quant aux 103 pages imprimées lors de son ultime sieste, les visiteurs qui les avaient volées n’en pourraient rien tirer.
Mais Jika, Jika ? Qu’avait-on fait d’elle ?
Il fut saisi soudain de terribles soupçons. Lui apparaissaient une avalanche d’indices pouvant s’avérer concluants. Elle était d’origine russe ; elle était traductrice, familière de cette langue ; elle était fort curieuse de son invention ; et lorsqu’il lui avait résumé ses recherches et leur aboutissement, elle affectait de « tomber des nues », mais posait les bonnes questions, comme si elle savait déjà… Et cette fouille de la maison, si bien pilotée, n’était-elle pas comme une signature révélatrice de la complicité de son épouse avec des visiteurs brutaux ?
Une espionne, Jika ! ?
Pourquoi pas ? Ses réactions étaient bien imprévisibles…
Une espionne, Jika ?
Impossible ! Il la connaissait du fond du cœur, aussi bien que lui-même !
Mais se connaissait-il vraiment ?
(À suivre)
Le Songeur