OVH AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

La véridique histoire

du

CÉRÉBRO-SCRIPTEUR


— 17 —

Où comment remédier aux effets pervers du CRRS.

(Episode précédent)


Le grand Communicant Urbain Cesfron prit sa respiration, et dit :

— Une chose est sûre : en tout domaine, sur tout sujet, il faut d’abord COMMUNIQUER. Après quoi, on prend le temps – s’il nous en reste - de réfléchir au problème.

La chose paraissait même si sûre que Jean-Pascal Félix émit un bâillement approbateur.

— Certes, poursuivit Urbain en adressant au Président un sourire entendu, en tant que citoyen profondément libéral, je n’ai rien contre les orgies jouissives mêlées d’alcool et d’épices diverses, qui sont autant de pratiques innovantes du bien-vivre aujourd’hui ; mais il est prudent de réserver ces voluptés aux élites raffinées, que l’on dit dominantes, dont nous avons la chance de faire partie : après tout, en groupe et en croupe, il est humain d’être animal.

Selon Urbain, concernant les classes moyennes, voire populaires, force était de constater qu’il leur fallait une morale les protégeant d’elles-mêmes, pour stopper d’avance toute dérive conduisant à l’anarchie, c’est-à-dire à la guerre civile. « Pascal ne dit-il pas, conclut-il : « La guerre civile est le pire des maux » ?

— C’est bien ce nous pensons, dit le Président, en adressant une œillade approbatrice à l’ami Jean-Pascal Félix, comme s’il eût été l’auteur de l’aphorisme en question.

— La question qui se pose, poursuivait le grand Communicant, est donc bien celle-ci : comment concilier l’usage du CRRS et l’éthique citoyenne ? Comment maintenir nos ventes sans abêtir les masses ? Voire en les rééduquant ?

— C’est exactement le problème, observa le Chef de l’État, se sentant enfin compris.

— Eh bien, je ne vois qu’une politique, estima le Ministre, laquelle peut donner lieu à deux séries de mesures, deux volets d’actions soutenues, si vous préférez, l’une de nature publique, (et je pense à une vaste campagne de publicité célébrant les trois glorieuses républicaines : liberté, égalité, chasteté), et l’autre de nature privée, allant dans le même sens, et qui ne déplairait pas à l’Église de France.

— À l’Église de France ?

— Tout à fait, mais dans une perspective strictement laïque : je pense, en effet à la restauration de la Confession dominicale, rituellement, dans les Mairies. Chaque citoyen s’y rendrait à confesse chaque dimanche matin.

— Je vois, dit le Président, c’est très habile, mais pour leur faire avouer quoi, précisément ?

— Leur addiction au CRRS, l’éclosion des multiples fantasmes libérés en leur for intérieur par l’usage de l’appareil… Un Conseiller municipal, choisi pour sa haute moralité publique, pourrait absoudre courtoisement ses concitoyens, les préparant à vous réélire prochainement, en ayant vu clair au fin fond d’eux-mêmes...

— Mais sans infliger d’autres pénitences, s’il se peut, mon cher Urbain : nos prisons sont déjà pleines. Quoi qu’il en soit, votre projet pourrait déboucher sur une massive production de confessionnaux, laquelle relancerait notre la filière-bois, de sorte que tout le monde y trouverait son intérêt.

— Tel est bien l’objectif, ajouta le grand communicant. Pour éclairer le peuple, nous tiendrons compte des progrès de la psychologie des masses. Il s’agit de nos jours non plus de punir, mais d’éduquer, et mieux encore, de rééduquer sporadiquement ceux que le CRRS aurait pu parfois déséduquer en les révélant à eux-mêmes. Comment cela ? Eh bien, en créant un corps de rééducateurs formés à la psy-ka-ka-nalyse (pardonnez-moi ce jeu de mots !) et autres sciences cognitives. On réapprendrait à « bien penser » tout citoyen qui se porterait volontaire, en échange d’une réduction d’impôts.

— L’idée est fameuse ! Ce serait un nouveau gisement d’emplois ! Il faut vite que j’alerte le Ministre du Commerce et de la Culture ! Les bibliothèques, de moins en moins fréquentées, retrouveraient enfin leur vocation de Temples de la pensée ! Et comment, cher Urbain Cesfron, nommeriez-vous cette nouvelle catégorie de fonctionnaires municipaux ?

— Mais, Monsieur le Président, vous venez vous-même de trouver cette dénomination : on les appellerait précisément les Templiers de la Pensée, ou de la Bien-Pensance, si vous préférez.

Le Chef de l’État ne put retenir un vaste sourire de soulagement, qui élargit passablement sa face ovale. Il tenait, pour de bon, une politique d’une efficacité enfin incontestable. Il en aurait presque oublié Jean-Pascal Félix, qui, quoique éberlué de la dimension prise par le débat n’était pas sans avoir sa petite idée sur le sujet, mais attendait poliment d’être consulté.

Il y eut un silence où chacun supputait comment, concrètement, allait être mise en œuvre cette politique.

L’ingénieur Félix, non sans maladresse, se permit de tousser.

Le Président, s’apercevant de sa présence, s’efforça de l’interroger finement :

— Et vous, bien cher Ami, vous n’avez sans doute guère d’autre artifice à nous soumettre ?

— C’est-à-dire que j’aurais eu, le cas échéant, une vague suggestion, parmi d’autres, dans la mesure où, peut-être…

— Alors, dites, dites toujours, n’hésitez pas, fit le Président paternellement.

— Eh bien, si vous permettez…

— Je vous écoute.

— Nous pourrions peut-être envisager la mise en place, sur le Cérébro-scripteur, d’une sorte de filtre, comment dire, prophylactique.

— Prophylactique ?

— Oui, quelque chose qui freine l’émergence des pensées pulsionnelles, un peu à la manière dont les anti-virus font barrage aux « Spams » qui sévissent sur Internet.

Il y eut un nouveau silence. Le Chef de l’État parut surpris.

Le Ministre de la Communication, quelque peu décontenancé, plaça dans la conversation l’une de ses devises favorites :

— Savoir dire, c’est savoir taire. Et donc faire taire.

Le Président, que l’usage du Cérébro-Scripteur avait fait progresser, lui aussi dans la connaissance de soi, poursuivait rêveusement l’appréhension du sujet :

— Mais comment, chers Amis pourrions-nous-vous faire taire les multiples pulsions grouillant au sein de l’espèce humaine ?

— Mon sentiment, concéda avec hauteur Jean-Pascal Félix, qui n’oubliait tout de même pas – génie oblige – sa fraîche renommée d’inventeur du CRRS, mon sentiment, c’est que. la solution sera technologique ou ne sera pas.

— Comment cela ?


(À suivre)


Le Songeur