OVH AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

La véridique histoire

du

CÉRÉBRO-SCRIPTEUR


— 11 —

Mais voici que l’Élysée, au courant de l’affaire, entend dessaisir Jean-Pascal de son invention.

(Episode précédent)


Jean-Pascal songeait au volant. En deux jours, c’en était fait de « son »  invention bien à lui. Limogeard ne lui avait pas caché l’alternative dramatique où ils se trouvaient tous deux. Ou bien il acceptait de céder à l’État le Cérébro-scripteur et rejoignait les Services du colonel pour le perfectionner en équipe. Ou bien, un jour ou l’autre, il en serait violemment délesté par l’une des puissances ennemies qui n’ignoraient plus les redoutables propriétés du CRRS.

L’Élysée, au courant de l’affaire, avait d’abord hésité entre la politique du secret et le choix d’une vulgarisation immédiate de l’appareil. Le Président nouvellement réélu, mais connu depuis longtemps par ses Mémoires anticipés*, avait certes perçu l’intérêt, pour le contre-espionnage, de restreindre le Cérébro-Scripteur à un usage clandestin : connaître la pensée d’autrui, sans recourir à la torture, eût été un grand pas en avant pour l’Humanité. Mais en même temps, comment ne pas craindre qu’une nation rivale, devançant la France dans la finalisation du produit, s’empare avant elle du formidable marché international que représentait le CRRS.

D’où sa préférence pour l’option commerciale : le génie français, en se dotant de ce nouveau fleuron industriel, ne manquerait pas de rééquilibrer enfin notre balance des paiements.

Ainsi donc la patrie en danger se devait-elle de réquisitionner le CRRS ! Un confortable dédommagement allait être promis à Jean-Pascal Félix, quel que fût son choix personnel ; mais on l’inviterait impérativement à mener à bien, en équipe, les ultimes recherches qui devaient préluder à la fabrication en série du produit.

Jean-Pascal ne pouvait pas ne pas avoir accepté. C’était l’unique moyen de demeurer père de son invention. Un seul regret : que Jika n’ait pu être engagée avec lui, alors que, déjà, elle avait fait de grands progrès dans l’usage du micro-CRRS que, très secrètement, il avait réinséré dans le saphir de sa bague de fiancée. Allait-elle prendre ombrage du peu de cas que l’on faisait de sa compétence ?

Sitôt informée, Jika apprécia sans réserve le choix de son mari. Elle préférait rester à l’écart d’une affaire dont l’extension n’était pas sans danger. Elle se réjouit à la fois de la célébrité qui allait en résulter pour son époux, et de la paix qu’elle y gagnerait en demeurant dans l’ombre.

— Sois sans crainte, lui dit Jean-Pascal : je te tiendrai au courant des moindres décisions.

— Ce ne sera pas la peine, répondit-elle : mon petit doigt me dira tout.

Heureuse épouse ! Elle tendit vers lui sa main gauche où brillait le saphir…

— Attention, précisa J.P, la pensée ne se transmet pas directement d’un Cérébro à un autre. On ne la découvre que par la traduction verbale qu’en opère le Système.

— Pas encore, mais…

Un éclair traversa Jean-Pascal.

— C’est vrai, dit-il, j’avais un peu oublié.

De fait, les événements se précipitant, il n’avait pas eu le loisir d’approfondir l’idée selon laquelle, en affinant et synchronisant un certain nombre de fonctions du CRRS, une communication directe devenait possible entre des cerveaux bénéficiant d’affinités particulières, ou soigneusement ajustés aux mêmes paramètres, ce miracle de l’amour.

— Pas encore, reprit-il toutefois Mais est-ce que tu te rends compte ? Est-ce que tu te rends bien compte de ce que cela signifie ? s’exclama-il, comme s’adressant à lui-même. Un champ immense s’ouvre devant nous !

Oui, une infinité de possibilités imprévues se révélait soudain, vertigineusement. Entre deux êtres, par exemple son épouse et lui-même, la transmission de pensée allait pouvoir à la fois se révéler merveilleuse, puisqu’elle ne pouvait plus être brouillée par les incertitudes du langage, et redoutable, puisqu’on ne pouvait plus user des mots pour déguiser sa pensée.

Sauf à épurer la conscience, à la reformater même, et parvenir enfin à ne transmettre que de bonnes pensées : c’est-à-dire en se mentant à soi-même. Ce qui n’allait pas de soi, même si certains sujets humains y parvenaient sans s’en apercevoir, en n’ayant nul besoin d’un quelconque CRRS…

— Mais il peut aussi y avoir pire, reprit-il pour lui-même, quoique s’exprimant à voix haute.

Jika le regarda intensément.

Il y avait pire en effet.


* Mémoires d’un futur Président (Éditions de Beaugies)


(À suivre)


Le Songeur