AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

Les Jeudis du Songeur (331)

PASTICHONS !

Commençons, en guise d’apéritif, par un poème de Ronsard revu et corrigé par un ami de longue date, Jean-Claude Buthigieg. Puis nous passerons au sublime éloge des pieds d’Elsa, directement inspiré par Aragon à l’un de ses admirateurs nommé Georges-André Masson*.

*

Quand je ne serai plus

Au soir de vos amours, au soir de votre vie,

Quand vous tricoterez d’ennui votre vieillesse,

Vous chanterez les vers que pour vous j’écrivis

Les ponctuant d’un : « Tiens, voilà ma vue qui baisse ! »

Lors vous vous souviendrez que tant je vous aimais ;

Et, bercée mollement par votre rocking-chair,

Vous rêverez les nuits qui ne furent jamais.

Au tombeau je serai, squelette poussiéreux,

Pleurant votre dédain, mais toujours amoureux ;

Tandis que, regrettant de m’avoir été sourde,

Bâillant sous les assauts d’un vieillard maladroit,

Poussant de longs soupirs et vous mordant les doigts,

Vous vous exclamerez : « Comme j’ai été gourde ! »

J-Cl. Buthigieg (d’après Ronsard)

*

[Léo Ferré, en choisissant de chanter les meilleurs poèmes d’Aragon, a fait croire que tous ses recueils étaient de la même qualité, notamment « Les yeux d’Elsa ». Il n’en est rien. Rien de plus artificiel que la poésie d’Aragon, dont les artifices apparaissent vite au grand jour : anaphores faciles, pseudo-lyrisme de vocatifs à tout bout de champ, références littéraires dans la gangue d’expressions familières, métaphores sans mesure feignant de renouveler des images éculées, absence de ponctuation pour faire fluide, culte bateau de la femme idéalisée, allusions savantes finement obscures, floraison de chevilles paresseuses, et j’en passe, – autant d’ingrédients que fait ressortir ce pastiche très précis de Georges-Armand Masson*…]

Les pieds d’Elsa

Tu m’as dit tu m’as dit Aragon prends un siège

Et me donne un baiser n’attends pas à demain

Nous n’irons pas au bois ce matin car il neige

Assieds-toi dans le fauteuil beige

Prends du papier de l’encre une plume un sous-main

Tu m’as dit tu m’as dit Comment se peut-il faire

Toi qui chantas mes yeux mes seins mon nez mon cou

Que tu n’aies pas encor célébré mon derrière

Pourtant la semaine dernière

Tu m’avais déclaré que tu l’aimais beaucoup

Et je t’ai répondu Mon amour sois sans crainte

Je ne l’ai pas perdu de vue un seul instant

J’en connais les contours sa Majesté m’est sainte

Et j’en ai déjà pris l’empreinte

Mais qu’il attende un peu chaque chose en son temps

Je dois finir d’abord la tâche commencée

Or depuis hier Elsa ce sont tes pieds charmants

Qui pénètrent mon cœur assiègent mes pensées

Entends la marche cadencée

Des vers qui pour les peindre arrivent posément

On dira Qu’ont-ils donc de rare et d’exemplaire

Arrête mécréant arrête un peu le bras

Tombe aux pieds de ces pieds qui font si bien la paire

Courbe ton front dans la poussière

Apprends que tous les pieds ne se ressemblent pas

Je le proclame en vers dodécasyllabiques

Il faut immédiatement et sans délai

Qu’ils soient par notre quatrième République

Classés monuments historiques

Comme les Alyscamps et le petit Palais

Plus que les pieds d’Elvire et que les pieds d’Hélène

Plus que les pieds d’Europe et les pieds de Léda

Ils sont beaux ils sont grands dans leurs sabots dondaine

On dirait qu’ils viennent d’Ukraine

Comme a dit Machinskov hier dans la Pravda

Je sais que de ces pieds un auteur téméraire

A médit l’an passé, mais il me le paiera

Je lui ferai sentir le poids de ma colère

Il ira mourir aux galères

Je ne plaisante pas sur ce chapitre-là

Pour trouver les pareils je le dis sans ambages

On chercherait en vain jusqu’aux Tuamotou

Ils ont même visage ils ont même lignage

Ils sont à peu près du même âge

Chacun d’eux a cinq doigts ce qui fait dix en tout

Quant tu vas quand tu viens aux champs à la baignade

Je crois voir les Gémeaux ou les frères Ajax

L’un sculpte l’idéal et l’autre se balade

C’est Oreste qui suit Pylade

C’est Achille ou Patrocle avec l’ami Bidax

Ô le bruit de tes pieds lorsqu’il pleut sur la ville

Dans leurs lamés d’argent dans leurs gaines de box

Qu’il est doux de les voir aux bals de Belleville

Ou sur les remparts de Séville

Danser la Carmagnole ou picorer les fox

C’est pour leur ressembler qu’en pompier je m’habille

Que mes vers assagis ne vont plus de travers

Leurs pieds avec les tiens ont un air de famille

Tes chevilles sont mes chevilles

Je ne mets plus Elsa ma culotte à l’envers

Quand par les soirs d’hiver de l’un d’eux tu te mouches

Ils ont parfois glacés ainsi que des sorbets

Lors pour les réchauffer retirant leurs babouches

Je les mets tous deux dans ma bouche

Et leur trouve le goût des biscuits Olibet

Ils sont ma passion ma rage mon délire

Est-ce l’un que j’admire et l’autre qui me plaît

Buridan Buridan je ne saurais le dire

Fût-ce même pour un empire

Mais qu’ils ceignent mon cou mon bonheur est complet

On ne peut pas courir quand on n’a plus de jambes

Si je n’ai plus tes pieds je ne puis faire un pas

Il me faut les toucher les sentir dans la chambre

M’assurer qu’ils sont bien ensemble

Savoir où sont tes cors le soir au fond des bas

Mets tes pieds sur mon front mets tes pieds sur ma tête

Ils me protégeront ils seront si j’ai peur

Des fantômes du loup du vent de la tempête

Ma nourriture et ma retraite

Mets tes pieds dans le plat et le plat dans mon cœur

Soyez bénis ô Pieds qui me donnez la vie

La gloire la vertu la domination

Si je vous perds je perds la boule et ma patrie

Veuillez agréer je vous prie

L’assurance de ma considération

Que de fois par les nuits d’angoisse aux heures graves

En vous croquant radis à même le ravier

J’ai dit au piano Rentre dans tes octaves

Et m’inspirant de thèmes slaves

Joué des toccatas sur ce rose clavier

Plus tard quand je serai très vieux à la chandelle

Je dirai J’étais là Tous deux vous m’écoutiez

Elsa se triolait en lisant Aulu Gelle

Pieds vos plantes étaient plus belles

Que les palmiers du Sud et que vous cocotiers

Ils volent dans l’azur ces pieds hélicoptères

Jusqu’au septième ciel ils emportent nos corps

Mais le silence est d’or et le reste est mystère

N’éveillons pas le Sagittaire

Je n’en dis pas plus long nous sommes bien d’accord.

Georges-Armand Masson* (d’après Aragon)

Le Songeur  (05-10-2023)


* Georges-Armand Masson, talentueux journaliste, écrivain et peintre français (29-05-1892 / 01-11-1977), a publié ce pastiche dans le recueil À la façon de… (Pierre Ducray, 1950, Préface de Paul Rebout).
Y sont parodiés une vingtaine d’auteurs de cette époque, parmi lesquels Céline, Éluard, Kafka, Mauriac, Claudel, Montherlant, Sartre, J. Green… G.-A. Masson récidivera avec un nouveau recueil intitulé : C'est pas beau de copier. Nouveaux pastiches de Corneille à Minou Drouet (Amiot, 1956).



(Jeudi du Songeur suivant (332) : « LE PETIT PRINCE ET LE POÈTE » )

(Jeudi du Songeur précédent (330) : « UN LIVRE QUI TIENNE ENFIN SES PROMESSES ? » )