OVH AFBH-Éditions de Beaugies 
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La véridique histoire

du

CÉRÉBRO-SCRIPTEUR


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Comment l’Ingénieur Félix devint maître en logistique internationale.

(Episode précédent)


Passer en six mois du concept à la fabrication en série du CRRS fut, pour Jean-Pascal Félix, une épopée quasi napoléonienne.

Les équipes qu’on l’avait invité à rejoindre s’avéraient si lentes à comprendre les circuits et interconnexions du Cérébro-scripteur qu’il avait dû malgré lui en prendre la direction.

Le Premier ministre, furieux de n’avoir pas été convié au débat présidentiel sur l’avenir du CRRS, devait se révéler si peu opérationnel que l’ingénieur Félix résolut de mener les opérations à sa place, au prétexte de s’y adjoindre.

Chaque soir et matin donc, Jean-Pascal Félix perfectionnait son appareil, ou du moins en corrigeait les défauts, notamment en réduisant au strict minimum la part de charabia abracadabrantesque liée aux enregistrements nocturnes. Les transcriptions de l’appareil devinrent ainsi de plus en plus claires, y compris lorsqu’il rendait compte des pensées les plus obscures, ou tendancieuses (« Dans tendancieux. paradoxalement, il y a cieux », disait Urbain Cesfron.

Parfois, rarement hélas, Jean-Pascal mettait à profit quelque insomnie pour y poursuivre ses recherches intimes sur les voix célestes. Mais le jour durant, il lui fallait piloter en France les usines clandestines de la CCI (Compagnie des Communications Innovantes, fondée par Urbain Cesfron), tout en supervisant l’activité multiple, à l’étranger, de nombreux sous-traitants qui approvisionnaient les unités de production françaises. La rationalisation des coûts l’exigeait, la fabrication du CRRS dût-elle n’avoir l’air nationale que de nom.

Le rôle de l’Hexagone fut ainsi principalement d’assembler des pièces détachées venues de tous les pays, notamment producteurs de lithium, manganèse et autres métaux espiègles qui se planquaient ici ou là. On y importait aussi, pour ces délicats assemblages, des cargaisons d’enfants en provenance d’Indonésie, aux doigts aussi habiles que menus, qu’on logeait dans les sous-sols du Sentier ou les couloirs du métro.

Semaine après semaine, Jean-Pascal Félix dut vérifier les arrivages et, contrôler la qualité des centaines de néo-composants miniaturisés du CRRS – oscillateurs multiples, semi-conducteurs, mini-résistances, contrôleurs RISK, milli-diodes, compresseurs d’Iotas, microcircuits tordus, nano-labyrinthes imprimés, cartes mères avec filles au pair, mixeurs de Gammas-Thêtas, micro-condensateurs, formulateurs hard, tubarytons soft, lexicons infinitésimaux, ainsi que toutes sortes d’autres micro-pièces d’Intelligence artificielle, bien connues des spécialistes – et qui arrivaient les uns par les airs, les autres par l’eau, ou encore par chemins de fer rouillés, dans des containers qui ressemblaient à des hangars de foin grouillants de têtes d’épingles.

Des métaux rares, extraits de mines africaines ou chiliennes, étaient raffinés en Allemagne, ciselés en Chine, re conditionnés aux États-Unis, micro-montés en Orient, promenés d’un point d’Europe à un autre, par camions, canaux, avions ou hélicos, pour enfin rejoindre nos chaînes d’assemblage dans les sous-sols parisiens, où des épouses de plombiers polonais testaient une dernière fois l’efficacité du produit, avant que les spécialistes du design à l’italienne donnent leur cachet esthétique, la mise sur le marché de cet objet magique exigeant un emballage mirifique, sans parler des arômes spéciaux proposés aux clients pour conférer un parfum personnel à leurs CRRS portatifs.

Bien que Jika fût restée dans l’ombre, en ces temps héroïques, ses capacités de traductrice furent déterminantes auprès de son époux, peu habile au maniement des langues. Disons-le tout net : c’est grâce à elle que la France, profitant de la dynamique d’une mondialisation apatride, put offrir au patrimoine humain l’authenticité souveraine d’un produit 100% national.


(À suivre)


Le Songeur