OVH
Où le grand danger que recèlent les ondes Iotas passionne visiblement le colonel Limogeard.
L’Ingénieur Jean-Pascal, semblant s’adresser (selon son habitude) à un vaste auditoire, reprit sa parole didactique des plus beaux jours :
— Vous vous souvenez sans doute, mon Colonel, que nos cerveaux émettent cinq radiations majeures, dont les plus conscientes se mêlent aux moins éveillées : Alpha, Bêta, Delta, Gamma, Thêta. Or,
— Je sais, je sais…
— Or, sachant que le fonctionnement cérébral est de nature holistique,
— Je sais, je sais…
— Eh bien, un sixième type d’onde est nécessaire pour relier et rendre opérationnelles les précédentes,
— Je sais, je sais, ce sont les ondes Iotas.
— Très bien, vous savez.
— Et alors ?
— Que voulez-vous savoir de plus ?
— Où est le danger ? Que risquent les Iotas, ou que risque-t-on de la part de celles-ci ?
— C’est précisément la question que je crois avoir résolue. Je dois d’abord vous rappeler que, même en l’absence d’iotas, il est dangereux de manipuler les ondes à l’aveuglette : en insérant trop de Bêta dans un flux de Thêta, vous le savez, il se produit un petit bruit sec caractéristique, suivi d’une vive douleur aux tempes du cerveau, et d’une sensation d’abrutissement : les ondes Thêta claquent.
— Il me semble en effet avoir lu cela quelque part.
— Mais ce n’est pas tout. L’onde Iota qui synthétise et relie les autres est à la fois fragile et venimeuse.
— Venimeuse ?
— Tout à fait. Si les Iotas attirent les Iotas, trop d’Iotas tuent les Iotas. En excès, les Iotas phagocytent les autres ondes et les annihilent, désaccordant leurs fréquences respectives. Elles rendent ainsi le cerveau incapable de penser. En souvenir du latin idus, qui signifie « division », je nomme Ides ces iotas dévoyées qui abêtissent sans rémission. N’oublions pas que Jules César fut précisément assassiné au cours des Ides de mars. D’où cette première loi : Les Ides Iotas rendent imbéciles les humains. Surtout les dames, d’ailleurs. Mais, corollairement,
— Corollairement ?
— Corollairement, les Iotas sont très fragiles, au point qu’il suffit d’un bombardement d’Alpha-Gamma pour les étouffer et les empêcher d’opérer. Si bien qu’on aboutit au même résultat, et c’est la seconde loi : Gamma trop sur Alpha pluss dé-conscientise l’homme-programmé>.
— Pourquoi « programmé » ?
— Parce que le terme est scientifique.
— C’en n’est que plus convaincant.
— Notons que, dans ce cas, ce sont plutôt les sujets de sexe masculin qui tombent dans le panneau de la stupidité animale.
— Mais alors, comment s’en protéger ?
— C’est très délicat. Nous sommes toujours pris entre deux excès. Je suis en train de mettre au point un Régulateur d’Ondes Cérébrales, le ROC, dont l’objectif est que chaque onde garde sa fréquence originelle, et qu’aucune ne prenne le pas sur une autre. C’est une sorte de régulateur fréquentiel de tension, qui peut aussi bien amplifier un type d’onde faible qu’affaiblir celles qui tendent à la surpuissance.
— Est-ce à dire qu’un individu pourrait, de lui-même, rétablir les équilibres de son propre cerveau ?
— Tout à fait. S’il y pense assez tôt, c’est-à-dire s’il perçoit l’un ou l’autre de deux symptômes caractéristiques, quoique opposés : tantôt lorsqu’il sent que ses Bêtas le Téthanisent (ou, si vous préférez, qu’il devient bête), tantôt en ayant soudainement, à l’inverse, l’impression que ses Iotas le rendent hyper-intelligent, ce qui est plus grave encore, et même rédhibitoire.
— Il pourrait alors se protéger par un régulateur de tension cérébrale ?
— Tout à fait. Mais le sien, adapté à son cas.
— Mais quelqu’un peut-il lui venir en aide ? Peut-on manipuler son régulateur à sa place ?
— En principe oui, mais je le répète, encore faut-il que le régulateur soit paramétré au système cérébral de chacun. Une manipulation sauvage, l’usage d’un régulateur non approprié au cerveau du patient, pourrait faire de lui un zombie dément, abruti ou débile jusqu’à la fin de ses jours, où un effrayant génie destructeur.
— Intéressant. Et ça peut fonctionner à quelle distance ?
— Quand le CRRS sera au point, le sujet aura tout intérêt à le porter sur lui. Je crois pouvoir doper l’appareil pour qu’il émette efficacement sur quelques centaines de mètres. Si, au moindre symptôme, le sujet a la possibilité d’appeler une personne familière, celle-ci pourra alors le secourir en maniant les bonnes touches. Néanmoins, je déconseille.
— Mais, imaginons le pire : est-ce qu’un espion étranger aurait ainsi, à distance, la faculté de dérégler le cerveau d’un de ses ennemis ?
— Certes ! Réguler est toujours difficile, mais dérégler, chacun le peut, et surtout avec un appareil non paramétré au cerveau du sujet que l’on vise !
— Vraiment ?
— Vraiment ! Mais votre espion aurait intérêt à se prémunir lui-même, grâce à son propre régulateur. Il risque en effet, en propulsant des ondes trop puissantes, d’être victime d’un effet boomerang.
— Un effet boomerang ? C’est possible ?
— Oui, tout à fait ! Surtout si vos espions s’y mettent à plusieurs pour bombarder un groupe d’ennemis !
— Comment cela, des collectifs pourraient s’employer à bombarder d’autres collectifs ?
— Assurément. Cela s’appelle « la guerre ». Et vous savez bien qu’il n’y a rien de plus efficace pour rendre les hommes mutuellement stupides.
Ébloui par des révélations aussi prometteuses, Limogeard se laissa aller à dire :
— Ah, comme on se sent intelligent, cher Monsieur, lorsque l’on vous écoute !
— Méfiez-vous vite de ce symptôme, dit Félix.
— Mais ce nouvel appareil, reprit Limogeard, quand pensez-vous sa mise au point définitive ?
— Dans un certain temps. Il me faudrait enregistrer un très grand nombre de cerveaux, ainsi que leurs longueurs d’ondes. Et je dois ensuite déposer officiellement mes travaux, qui seront gardés secrets. C’est toute une paperasse qui n’en finit pas. Défense nationale oblige.
— Cela va de soi. Si vous le désirez, je vous servirais volontiers de cobaye, lorsqu’il sera question du premier prototype.
— C’est une excellente proposition ! Je dois vous avouer en effet que le maniement des prototypes, n’est pas sans risques pour les volontaires. Il leur faut une foi patriotique à toute épreuve.
— Cela mérite réflexion, fit Limogeard. Ne nous emballons pas.
(À suivre)
Le Songeur