AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (38)

NERVAL

Je songe à Nerval, inimitable maître du Songe. Je songe à ses Chimères, sublimes sonnets dont il avouait qu’ils perdraient beaucoup à être « expliqués » (Je suis le Ténébreux, le Veuf, l’Inconsolé…). Je songe à Aurélia, mystérieuse et authentique transcription de son expérience de la folie, monument sublime d’expression littéraire.

Contrairement à ce que l’on a pu dire et croire au sujet de Nerval, comme de Van Gogh d’ailleurs, ce n’est pas la folie qui rend génial, c’est le suprême effort de clarté et d’humilité que l’artiste fait pour circonscrire les songes menaçant sa raison, qui authentifie son génie. Le Rêve est une seconde vie, écrit le poète. Mais la Vie est aussi un Rêve premier dont nos visions portent la nostalgie, et dont l’inimitable Nerval tente de déchiffrer le mystère pour le bien de tous : « Si je ne pensais que la mission d’un écrivain est d’analyser sincèrement ce qu’il éprouve dans les graves circonstances de la vie, […] je m’arrêterais ici », dit-il au début d’Aurélia, témoignage douloureux de sa quête de vérité.

LAMENTO

Dans la forêt lointaine où résonne un hibou,

J’entends la rime ancienne… et l’appel du coucou.

Las ! ma chandelle est morte, et je n’ai plus la flamme

De surmonter les deuils qui me désolent l’âme.

Mes aimées sont parties, un jour, je ne sais où

Pour assagir – sans doute – un monde à demi fou…

Me laissant seul sur place en proie aux longues heures

Qui pétrifient l’espace où s’enfouit ma demeure.

Alors se sont figés les lents balancements

De ma Rose trémière ivre de firmament !

Ma vie n’est plus depuis qu’un Songe d’existence

Que bercent quelquefois, les soirs de peine immense,

La vague de rumeurs des feuilles dans le bois

Et la brume qui pleure où se perdent des voix.

Naturellement, j’entends déjà certains lecteurs me reprocher ici, au lieu d’avoir approfondi la méditation esquissée ci-dessus, de m’être livré à cette forme de remplissage qu’on appelle citation : « Un bref préambule, un recopiage de 14 vers, c’est trop facile ! Nous restons sur notre faim ! ».

Je comprends bien. Pour ma défense, j’oserai tout de même dire au lecteur que, si ce poème peut se lire en cinquante secondes, il faut pour l’entendre le relire en le prononçant lentement à l’intérieur de soi. Celui qui voudra bien lui prêter sa respiration, pourra alors se perdre longuement, à la suite du poète, dans l’émotion finale de cette rêverie sans fin.

Le Songeur  (11-12-14)



(Jeudi du Songeur suivant (39) : « NE PAS TROP REMETTRE LES PENDULES À L’HEURE »)

(Jeudi du Songeur précédent (37) : « LES GENS AIMENT ÇA »)