AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

Les Jeudis du Songeur (117)

VERTU ET DÉMOCRATIE

À ce qu’il m’a semblé, l’actualité médiatique se focalise sur des présidentielles qui auraient lieu en France en avril et mai prochain, avec l’habituel cortège d’images et sondages, faits et débats, rumeurs et petites phrases. Ce qui me renvoie fatalement aux antipodes de ces nouveautés, c’est-à-dire à la grande question de la Vertu, qui est ou devrait être le grand principe moteur de toute démocratie, peuples et gouvernants compris, sans oublier au passage les « pros » des médias.

Et je songe justement à ce poncif souvent véhiculé par les médiaticiens d’aujourd’hui : qu’importe la vie privée que mène un homme politique, notamment en matière de mœurs et de finances, pourvu qu’au pouvoir il mène une bonne politique, manifestant un réel sens de l’intérêt public. Voyez nos présidents successifs, me dit-on : ils ont tous eu des maîtresses, des défaillances humaines, des indélicatesses calculées (échappant à l’impôt, favorisant leurs affidés), et après ? Cela les a-t-il empêchés de porter des diagnostics justes ou de prendre des décisions saines comme gouvernants ? On peut être un cavaleur invétéré et savoir tenir les rênes de l’État… L’homme étant un animal politique, il n’est pas anormal que le politique en lui s’adonne aux satisfactions animales.

Lorsque j’entends ces paroles, je sens parfois la colère citoyenne monter en moi. Je rêve soudain de gouvernants enfin incorruptibles. Et me sens rejoindre les discours de Robespierre prêchant la Vertu à ses amis politiques* en ces termes mémorables : « Tout ce qui tend à exciter l’amour de la patrie, à purifier les mœurs, à élever les âmes, à diriger les passions du cœur humain vers l’intérêt public, doit être adopté ou établi par vous ; tout ce qui tend à les concentrer dans l’abjection du moi personnel, à réveiller l’engouement pour les petites choses, et le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé par vous. Dans le système de la révolution française, ce qui est immoral est impolitique, ce qui est corrupteur est contre-révolutionnaire » (pour les curieux, cf. Lagarde et Michard, XVIIIe pp. 409-410)

Bien entendu, ce sont là des propos qui vous conduisent à couper quelques têtes, au risque de finir par y perdre la vôtre. Mais bon, sans tomber dans la Terreur moralisatrice de Maximilien, je voudrais simplement rappeler aux Occidentaux qui se flattent de vivre dans des démocraties, ou se l’imaginent, que le principe fondamental de la démocratie est en effet la vertu ; que cette vertu est une, à la fois civique et privée ; et qu’elle est axée sur l’amour préférentiel de la patrie et de l’égalité, comme le rappelle Montesquieu : « La vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible. On peut définir cette vertu l’amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières.  »

C’est pour cela que le bon peuple, (ou ce qu’il en reste depuis qu’on l’a transformé en public), n’est pas indifférent à la vie globale que mène un politicien ou un candidat qui postule à des fonctions majeures. L’honneur du citoyen, habité de ce sens commun qu’une certaine classe méprise comme une tare « populiste », est d’exiger de l’homme public qu’il soit irréprochable au plan de la vertu privée. Et il a raison. Parce que dans un système où les élus sont censés représenter les électeurs (en tant que « peuple souverain ») le citoyen n’a nulle envie d’être « représenté » par n’importe qui, se livrant à n’importe quelle vie. De celui qui va agir en mon nom, j’ai le droit d’attendre qu’il ne me déshonore pas en chiffonnant mon suffrage, aussi bien dans l’ordre civique (qu’il ne favorise pas l’inégalité lorsque je lui ai confié mon désir de justice), que dans l’ordre personnel (qu’il renonce aux désirs de son « ego » puisqu’il ne doit plus avoir pour maîtresse principale… que la Raison d’État).

Comment ne pas s’indigner alors devant tous ces scandales qui défraient la chronique, ces impostures qui perdurent avec la complicité des sphères politiques , ces « vérités sélectives » que révèlent ou que cachent les médias pour satisfaire les « stratégies d’image » de jeunes loups narcissiques, ces vastes tromperies toujours recommencées de discours inspirés par des communicateurs qui eux-mêmes ne pensent qu’à se vendre ?

« Tous pourris ! », dit le peuple, auquel on fait aussitôt honte de s’être laissé tromper ! C’est oublier que le citoyen écœuré qui bascule dans le « tous pourris » est d’abord quelqu’un qui a voulu croire à la vertu des dirigeants. Et ceux qui déplorent cette dérive en sont les premiers fautifs, dès lors que, jugeant passéiste l’exigence de vertu, ils se sont faits complices, par leur complaisance même, des frasques, harcèlements et autres impostures de politiciens en vue, qui n’étaient pas des moindres.

*

La vérité, c’est que nous vivons dans un système qui force à l’imposture. Le marketing (soi-disant « politique ») et la médiatisation forcenée ont définitivement séparé, d’un côté, le Réel complexe du gouvernant et de son action politique, et de l’autre, l’Image nécessaire qu’il croit devoir envoyer au peuple/public pour le séduire, au profit de laquelle tout pourra être dit, raconté, inventé, falsifié. L’image vampirise « l’action » au point que les contenus mêmes de celle-ci ne servent que de faire valoir aux profils des acteurs (notamment présidentiables). Cette duplicité fonctionnelle des dirigeants a pour effet de produire une Opinion sans repère, incapable de faire le lien entre les décisions politiques qui se trament dans l’ombre du « pouvoir » (les coulisses financières de la technocratie libérale), et les prestations médiatiques, aussitôt sondées-jugées-stratégifiées, de « personnages publics », dont les Apparences, régies par la « com. », n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils sont (que sont-ils, d’ailleurs !).

Que devient la Vertu politique, pourtant essentielle, dans les foires d’empoigne des médiacraties modernes ? Une posture parmi d’autres, semble-t-il. Celle dans laquelle se drapent certains orateurs, le temps d’en appeler aux « valeurs républicaines », qu’ils ont eux-mêmes oubliées. Bien entendu, de ce monde de postures-impostures émergent des vérités partielles, des scandales qui stupéfient, des masques qui parfois tombent, permettant aux publics, épisodiquement, de crier haro sur le baudet du jour, en se figurant que le ménage a été fait. Mais le système ne change pas, et l’électeur un peu conscient, non seulement ne sait plus qui choisir, mais se demande vraiment s’il faut choisir, au risque de pérenniser l’imposture.

*

Nous revoici donc dans le marécage des présidentielles. Faisons un effort. Affectons d’y discerner les hommes. Pour les programmes, on en regorge ; ils ne sont certes pas à négliger. Mais l’homme prime. Nous avons besoin d’un homme doté d’une véritable stature morale, puisque la configuration actuelle de notre constitution fait reposer sur lui l’essentiel du pouvoir.

Éternel déçu de tous les choix que j’ai faits depuis cinquante ans, en quête d’un président incarnant la Vertu, j’ouvre les yeux. Que faire ? J’en ris d’avance. Car qui choisir, sur quels critères ?

Et soudain, je me dis : je veux, prioritairement, un président qui ne soit pas un imposteur.

Je prends un risque. Peut-être faudrait-il me contenter de chercher plus modestement, parmi les candidats au pouvoir, quelqu’un qui jusqu’alors a manifesté le moins d’imposture(s).

Le plus fidèle, c’est d’abord le moins traître.

Ah, si seulement nous disposions d’une échelle de Richter de l’Imposture ! Que font Messieurs les politologues ?

En attendant, restons modestes. La règle de moindre imposture sera la priorité de mon choix.

En tant que citoyen, je veux dès lors m’efforcer de tout savoir sur Celui que je m’apprête à élire. C’est difficile, il y a tant d’informations contradictoires ! C’est difficile, car font barrage les biographies officielles, CV sélectifs ou histoires de vie mythifiées. N’empêche ! Je veux enquêter sur toutes les données physiologiques, familiales, psychologiques, culturelles et sociales du Postulant suprême, et bien entendu, procéder à un examen critique de ses comportements depuis qu’il est responsable de sa vie (a-t-il été courageux dans l’épreuve, persévérant dans l’adversité ? A-t-il su dire non ? S’engager sans se compromettre ?). J’ai besoin d’un maximum d’indices et de paramètres, pour les analyser, croiser, articuler, et répondre à la question : aura-t-il la force morale nécessaire à un Chef d’État chargé de conduire une Nation et d’en grandir l’histoire, d’aimer son sol et sa patrie (vivante de sa langue, riche de tout son passé, forte de son avenir potentiel). Il m’importe donc tout autant de connaître sa vie privée, ses « passions » qui peuvent le rendre vulnérable, ses addictions diverses (drogues ? sexes ? argent ? montres ? voitures ? tableaux de maîtres ? petits garçons ? et j’en passe), ses choix sexuels (est-il hétéro/homo/transgenre ? est-il plutôt fidèle, plutôt volage ?), ses « valeurs » proclamées (la religion ? l’humanisme ? le Travail ? la Bourse ?), ses expériences professionnelles (sait-il ce que c’est que la vie ouvrière ?). J’enquêterai pareillement sur ses appartenances claniques, familières ou secrètes : réseaux d’amis (qui se ressemble s’assemble !), compagnons de jeux ou de vacances (en Thaïlande ?), « Think tank » ou cercles dits de « pensée », coteries, loges, chapelles ?

Je veux tout savoir de qui veut mon pouvoir. Plus de fard : des faits !

Qu’on ne se récrie pas : si je devais marier ma fille, je trouverais essentiel de tout savoir de son prétendant, pour m’assurer de son bon choix. Or, en tant que citoyen électeur, me voici sur le point de céder à un être humain la capacité de faire la guerre en mon nom, de répandre sur terre la paix (ou d’y propager l’injustice), d’appuyer enfin sur le bouton nucléaire. Ainsi, je n’ai pas droit à l’aveuglement ! Je dois pouvoir mesurer la force de caractère, la clairvoyance, la Vertu de l’être que je m’apprête à choisir. Ou alors, je me renierais comme citoyen. Certes, la chose s’avère complexe. Tant les rumeurs ou faux dossiers compromettants se mêlent à la vraie connaissance des hommes. Peut-être n’arriverais-je à déceler et rejeter que des impostures patentées. Tel est pourtant l’exigence de l’idéal démocratique. Comme Diogène, nous sommes condamnés à errer en plein jour dans la Cité, une lampe à la main, en posant à tout bout de champ la même question désespérée : Je cherche un homme.

Pour rendre concrète ma position (le choix de la moindre imposture), je prendrai un exemple au hasard : le cas Macron, ex-banquier. Ce qui est bien sûr un hasard calculé…

À l’heure où j’écris (début janvier), Emmanuel est l’enfant chéri des sondages, la petite tête qui monte, qui monte, qui monte. Fort bien. Je n’ai pas d’a priori contre le talent de ce jeune homme très bien sous tout rapport, qui de surcroît aurait pu être mon élève…

Son ascension fulgurante, en deux ans, m’alerte toutefois. Je partagerais volontiers le préjugé d’Anne Hidalgo : « Il doit servir les intérêts de beaucoup de gens pour faire autant la Une des journaux et pour avoir été à ce point porté comme la figure imposée d'une modernité. Le réveil risque d'être difficile pour ceux qui y croient. » Cette « figure imposée », par une stratégie d’image, le fait apparaître en effet comme un pur produit « hors sol », auquel il manque précisément l’enracinement nécessaire à l’homme d’État. Sa posture même est son imposture, comme le montre la maladresse insigne avec laquelle il tente d’aller au contact, de rencontrer le « vrai peuple ». Même déguisé en mineur de fond, il garde l’air d’un financier en costard. Et j’avoue que j’ai éclaté de rire en lisant, récemment l’un de ses propos de campagne : « Je veux rendre le pouvoir aux Français. » (il a bien dit rendre et non pas prendre).

Poursuivons notre examen. Pour compenser le caractère abstrait de sa trajectoire vers les sommets, le « petit Macron » a laissé la presse conter son émouvante histoire d’amour, cette passion soudaine et réciproque d’un adolescent doué et de sa prof de français, qui aboutit à leur idyllique mariage (cf. l’interview de son épouse Brigitte, en avril 2016, dans Paris-Match, avec photos privées du couple). Ce n’est pas à leur insu que nous voyons, semaine après semaine, les conjoints main dans la main ici ou là. Le couple se présente comme fusionnel. « Elle » participerait activement à la campagne présidentielle. Ils décideraient de tout ensemble. La différence d’âge (elle a 20 ans de plus que lui) ne ferait en rien obstacle à leur union. Ils agiront ensemble. Je tremble pour ma patrie. Je ne voterai pas pour eux.

Et c’est dans cet état d’esprit qu’en décembre dernier, à quelqu’un qui me demandait mon avis, je m’étais permis cette boutade : « Je ne peux avoir confiance en un homme qui a épousé sa mère. »

Holà, que n’avais-je pas dit sans savoir ! « Tu ignores, me répondit-on, que Macron est à fond homosexuel ? Il vit en couple avec Mathieu Galet, Directeur de Radio-France. Ce qui d’ailleurs, ne me gêne nullement. » Je tombe des nues : « D’où sais-tu cela ?  ». Réponse immédiate : « Tout le monde le sait. » J’interroge plusieurs personnes : ne savent pas. Un autre me dit : « Je l’ai lu, mais de toute façon, ce n’est pas un problème. » Impossible de démêler le vrai du faux : tout le monde le sait, et puisque tout le monde le sait, il serait homophobe de vouloir vérifier. J’ai l’air d’un policier des mœurs ! Énoncer la chose serait la dénoncer...

Or, poursuivant l’enquête, j’ai découvert que, dès le 3 novembre 2016, Emmanuel Macron avait démenti cette rumeur en des termes parfaitement clairs : « Il y a des gens qui n'ont aucune morale, qui pensent que tout est permis en politique à commencer par le mensonge. […] il y a plusieurs personnes derrière toutes ces rumeurs, qui sont dans des dîners en ville. Je dis très simplement que ceux qui s'amusent à faire ça se fatiguent. Moi en tout cas je ne changerai pas de vie pour eux. Je n'ai pas de double vie et je tiens plus que tout à ma vie familiale et maritale. » S’il y avait imposture, elle n’était pas là.

Mais la rumeur ne semblait pas pour autant avoir été éradiquée !

S’il y avait donc mensonge coupable, celui-ci ne provenait que des diffamateurs... Non du candidat.

Et si l’on y réfléchit bien : que Macron eût pu imaginer promouvoir sa personne en mettant en scène son couple fusionnel, tout en ayant par ailleurs une liaison avec un amant, c’eût été avant tout une énorme erreur de… communication ! Il n’aurait pas fait, je crois, cette bêtise. Enfin…

D’où l’on peut conclure que l’imposture n’est pas forcément le fait des politiciens eux-mêmes, mais aussi des citoyens qui colportent ces rumeurs calomnieuses**, pour amuser les convives de leurs dîners en ville, sans avoir vérifié ce qu’ils osent propager.

La Vertu démocratique est décidément une valeur à rétablir, dans toutes ses dimensions. Dont l’une est aussi de savoir se taire, si savoureuse que soit la pratique de la médisance…

Le Songeur  (26-01-2017)



* L’expression « amis politiques » est à prendre ici comme oxymore…

** Souvenons-nous des paroles de Léon Blum fustigeant la calomnie, aux obsèques de Roger Salengro : « Il n’y a pas d’antidote contre le poison de la calomnie. Une fois versé, il continue d’agir quoiqu’on fasse dans le cerveau des indifférents, des hommes de la rue comme dans le cœur de la victime. Il pervertit l’opinion, car depuis que s’est propagée, chez nous, la presse de scandale, vous sentez se développer dans l’opinion un goût du scandale. Tous les traits infamants sont soigneusement recueillis et avidement colportés. On juge superflu de vérifier, de contrôler, en dépit de l’absurdité parfois criante. On écoute et on répète sans se rendre compte que la curiosité et le bavardage touchent de bien près à la médisance, que la médisance touche de bien près à la calomnie et que celui qui publie ainsi la calomnie devient un complice involontaire du calomniateur. » (C’est moi qui souligne)


(Jeudi du Songeur suivant (118) : « QUOI DE NOUVEAU ? MOLIÈRE… » )

(Jeudi du Songeur précédent (116) : « EN QUÊTE DE CARMINE » )