OVH AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

La véridique histoire

du

CÉRÉBRO-SCRIPTEUR


— 25 —

Du sort étrange qui échut alors aux époux Félix…

(Episode précédent)


En dépit du laissez-passer qui lui permettait de circuler dans les sous-sols du labyrinthe élyséen, Jean-Pascal Félix, fuyant au volant du scooter présidentiel, n’était pas passé inaperçu. Qu’un savant visionnaire circulât dans la pénombre des tunnels, ayant pris en croupe une splendide créature, voilà qui ne pouvait pas ne pas alerter la moindre des sentinelles.

Moins de dix minutes après leur échappée, un message parvenait sur le portable de Limogeard, tandis qu’un autre avertissait directement le Président de leur fuite.

— Président, il faut agir !

— Agir, toujours agir ! Laissons-les faire, mon Colonel, nous n’avons plus besoin d’eux !

— Et s’ils passent à l’étranger ?

— L’étranger en sait maintenant autant que nous en savons nous-mêmes. Mais d’abord, et avant tout, restaurons-nous. La Paix est à ce prix.

Pour prévenir toute menace cérébrale, les époux en cavale gardaient prudemment à portée de main le Régulateur d’Ondes. Et ils n’avaient pas tort. Car si la République les avait laissés aller, ils avaient aussitôt été pris en chasse par des services étrangers rodant aux alentours de l’Élysée, ceux-là mêmes qui, selon toute probabilité, avaient réussi à brièvement pénétrer leurs cerveaux une heure auparavant.

Jean-Pascal, les apercevant dans son sillage, passait alternativement d’une ruelle à l’autre, sans parvenir à les semer, jusqu’à ce qu’il sentît bourdonner prés de ses tempes une nouvelle volée d’ondes iotas :

— Active un max le bouclier, hurla-t-il à Jika.

— Fait ! cria-t-elle.

Et c’est alors qu’eut lieu l’effet boomerang escompté par l’ingénieur Félix : le bouclier du ROC, renvoyant le flux d’ondes iotas sur les émetteurs, déstabilisa aussitôt le conducteur ennemi. L’automobile tangua, puis s’encastra dans un gros tas de poubelles et d’immondices. Les poursuivants sortirent en titubant, en proie à d’étranges paniques, et finirent par s’éloigner en bafouillant.

Leur voiture était indemne. C’était un signe très favorable. Ils s’en saisirent. Trente minutes plus tard, Jean-Pascal Félix et Jika fuyaient hors de Paris, côté Nord. Mais où aller ?

L’Ingénieur, qui avait cru devoir fuir sur le conseil d’une voix céleste, tendait l’oreille en lui-même vers la Voix, afin qu’elle lui précisât le chemin à suivre. Mais la voix se taisait.

Jika intervint alors :

— Si mes souvenirs sont bons, c’est au désert que l’on rencontre Dieu. Allons au désert.

— Au désert ? Mais comment ne pas s’y faire repérer ? Que fais-tu des satellites espions ? Tu sais que les iotas attirent les iotas. Et toi et moi n’en sommes guère dépourvus. Nous serons repérés, nous pensons trop !

— Alors, dit simplement Jika, immergeons-nous dans des lieux d’intelligence réduite, où notre potentiel d’ondes cérébrales, se diluant dans la moyenne, deviendra indétectable.

— Bon Dieu, bon Dieu, mais c’est bien sûr ! Ô Jika, tu es ma voix céleste ! Allons en Picardie, où l’autoroute nous mène : voilà le vrai désert, que nous indique le Ciel ! N’importe quel petit village sera notre oasis !

C’est ainsi que les époux Félix, vivant bientôt incognito dans une ferme picarde, purent échapper aux multiples recherches dont ils étaient l’objet, sans cesser d’observer l’évolution du monde, non plus d’ailleurs que de poursuivre leur quête commune de voix célestes.

Cependant, Jean-Pascal, qui suivait tout, fut d’abord surpris par le silence terrestre que ne gênait en rien la vaste conflagration mondiale. Il comprit vite qu’aucune intelligence ennemie ne maîtrisait vraiment le Cérébro-scripteur. Ainsi que l’Histoire l’avait toujours enseigné, la stupidité militaire, suivant sa pente naturelle, avait été contagieuse. Le seul élément nouveau, c’est qu’elle disposait alors d’une efficacité toute nouvelle sur les populations civiles. De sorte que, l’effet boomerang aidant, le trop-plein d’ondes iotas circulant dans les basses couches de l’atmosphère terrestre était en train de griller littéralement, à jamais peut-être, l’intelligence humaine. C’était une question de semaines.

Comment résister ? Si Jika et Jean-Pascal étaient blindés grâce au Régulateur d’ondes, ce provisoire salut ne suffisait évidemment pas. Ils devaient voir plus loin, concevoir un futur possible. Par bonheur entre eux, les progrès télépathiques étaient tels qu’ils n’avaient pratiquement plus besoin du Cérébro-scripteur pour être en communion de pensée. Si bien qu’une première idée-force, comme venue du Ciel, les illumina soudain : quand bien même l’Humanité sombrerait, ils allaient pouvoir, en tant que couple, la régénérer. Ils seraient alors la souche d’une nouvelle aventure humaine.

Comme pour leur donner raison, la mise en œuvre de la « grosse Bêtha » confirma, dès ses premiers effets, à la fois tout ce qu’on devait craindre concernant le futur de l’humanité et toutes les raisons qu’on avait pourtant d’espérer en son avenir : d’une part, en effet, ce bombardement intense d’ondes iotas sur la Chine et tout l’Extrême-Orient fit agir en quelques instants toutes les puissances d’abêtissement qu’avaient accumulées ces pays ; d’autre part, et simultanément, les opérateurs militaires d’Outre- Atlantique, inconscients de l’effet boomerang immense qu’ils venaient de déclencher, se trouvèrent instantanément plongés dans une irrémissible débilité, les rendant ipso facto incapables de manœuvrer leur funeste canon. Deux continents s’étaient neutralisés en un clin d’œil ! Si bien que cette incroyable guerre mondiale, dont la plupart des humains ne s’étaient pas rendu compte, s’acheva à peine commencée, au moins pour quelques mois...

Il restait globalement, aux humanoïdes rescapés de la conflagration, une sorte de jugeote épaisse suffisant à leur propre survie collective. De quoi se demander si cet instinct basique n’était pas préférable au formidable essor de l’intelligence humaine qu’aurait pu faciliter le bon usage du Cérébro-scripteur.

Jean-Pascal Félix, saisi alors par une ultime inspiration céleste, sans le secours de son inutile appareil, et absolument sûr que son épouse approuverait sa décision, sortit à l’aurore de sa chaumière picarde, gagna la place du village où se trouvait le puits et, d’un geste sûr, y jeta le Cérébro-scripteur en s’exclamant à l’intention du Ciel :

« Si la Vérité sort du puits, il vaut tout de même mieux qu’elle y demeure ! »

Mais déjà, silencieusement, Jika avait rejoint son ingénieur de mari. Plus que jamais, ils se sentirent sur la même longueur d’onde. Prêts à refaire le monde, en ré-enfantant l’homo sapiens.

En toute télépathie*.

FIN


* Note de l’auteur(e) : Nous nous inscrivons en faux contre la thèse récente d’un journaliste qui, tout en se prétendant sain d’esprit, affirme : 1/ Que ce serait l’épouse du génial Félix qui, pilotant le scooter, aurait fui en prenant en croupe le Chef de l’État ; 2/ Urbain Cesfron serait enfin devenu Président grâce à l’appui du Colonel Limogeard ; 3/ Jean-Pascal, aurait rejoint un ordre monastique, pour mieux capter les étranges voix qui traversaient son for intérieur…

Des affabulations dénuées de tout fondement !

La preuve : Jika, c’est moi.



Le Songeur