OVH AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

La véridique histoire

du

CÉRÉBRO-SCRIPTEUR


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Les pires supplices sont intérieurs. Ce qui donne au CRRS de très innovantes perspectives d’avenir.

(Episode précédent)


Qui donc avait tenté de s’emparer de l’esprit de Jika ? Limogeard ? Urbain Cesfron ? Le Président lui-même ? Des Russes, des Chinois, des Orientaux moyens, des extrêmes Orientaux ? Des Services secrets originaires de nations émergentes ? Qui l’eût su, qui l’eût dit ?

Par bonheur, Jean-Pascal Félix avait trouvé la parade… pour peu qu’il continuât d’user de son bouclier ! Mais la menace dépassait infiniment son propre cas. Les autorités françaises ne se doutaient nullement de ce qui allait advenir à notre pays, à l’Europe, au monde entier ! Il fallait avertir instamment le Chef de l’État.

Que diable faisait-il ?

En vérité, le Président était aux prises avec Urbain Cesfron, qui l’enjoignait de démissionner et décréter de nouvelles élections où le grand Communicant comptait bien faire acte de candidature à la fonction présidentielle.

Que s’était-il passé ? Rien de bien grave en vérité. Cesfron, on l’imagine, ne négligeait pas de s’informer des mille et une facettes de la vie privée de ses rivaux, qu’il se fût agi de ses subordonnés ou de ses supérieurs. Les révélations du CRRS présidentiel, dont il connaissait le contenu, l’avaient mis sur la piste des pulsions secrètes du Chef de l’État. C’est ainsi qu’il avait pu obtenir des photos fort compromettantes de certaines soirées où le Chef de l’État, trop friand de demoiselles agréables et fraîches, avait eu le tort de ne pas s’apercevoir qu’elles pouvaient être encore mineures, quand bien même elles se faisaient passer pour d’ingénues étudiantes en mal d’argent de poche. Pour Urbain Cesfron, l’occasion était unique d’obtenir la démission du Président, par un de ces délectables chantages auxquels s’adonnent, mutuellement parfois, les dirigeants d’un même Parti…

Il avait, par ailleurs, fait analyser les contenus de l’Inconscient collectif des citoyens, en dépouillant les CRRS récoltés en mairies par ses équipes de Templiers de la Pensée. Il apparaissait que les Français et les Françaises rêvaient, à la tête du pays, d’un homme enfin viril, portant moustache et bien rasé. Dans ses rêves inavoués, l’opinion se représentait cet homme nouveau en tenue légère, muni d’un slip de type (H)OMO, avec ou sans H, et dont les formes consistantes ne laissaient planer aucun doute sur son authenticité de mâle dominant, c’est-à-dire de grand Chef de la Tribu nationale.

Et selon Urbain, lui-même pouvait incarner ce modèle, quoique sa nature profonde le portât plutôt vers ce qu’on appelait jadis les amitiés particulières. Mais à ses yeux, tout n’étant que pure et simple question d’image et de marketing, ses meilleurs affidés planchaient déjà sur la campagne électorale qui le farderait en mâle providentiel.

Dans cette optique, faisant d’une pierre deux coups pour financer sa candidature, et les faux frais qui s’ensuivent, il avait clandestinement revendu quelques cargaisons de CRRS à des Administrations – au-dessus de tout soupçon – de pays Amis de la France. Il s’agissait des premiers modèles, non encore au point, raison pour laquelle il n’avait pas estimé utile, en conscience, d’en avertir le Président, ni même le Ministre de l’Intérieur.

Soudain, à l’heure du thé, Jean-Pascal Félix et son épouse perçurent un bruit de moto à l’extérieur de leur appartement. On frappa. Des gardes du corps introduisirent alors, et enfin, le Président en personne, suivi d’Urbain Cesfron. Ils étaient venus en scooter, vu la longueur du tunnel qui reliait ce séjour souterrain aux étages élevés du palais élyséen. C’est en ayant l’air de s’entendre comme copains et coquins qu’ils saluèrent avec chaleur les deux époux.

Dès l’abord, le Chef de l’État, qui paraissait fatigué, s’excusa de son retard, dû à une réunion plus longue que prévu, et rassura les époux sur la façon dont ils seraient traités.

— J’ai confié à notre ami Urbain la noble tâche de s’occuper de vous, dit-il d’emblée.

— Vous jouirez de tous les avantages réservés à des hôtes de qualité, enchaîna le Ministre de la Communication, et vous pourrez travailler sans être dérangés dans le laboratoire secret sur lequel donne votre salon.

— En cas de besoin ou d’urgence, ajouta le Président, vous pourrez rejoindre le cœur de l’Élysée au moyen du scooter personnel que je laisse à votre disposition, garé à côté du seuil de votre séjour.

— Et bien sûr, dit en passant Urbain Cesfron, rien ne serait changé pour vous en cas de remaniement ou de toute autre modification au sommet de l’État.

— Cela va de soi, confirma le Président avec bonhomie.

Les remerciant chaudement de cet accueil, Jean-Pascal en vint vite à la question des menaces qui pesaient, non pas seulement sur Jika et lui-même, mais sur tout responsable touchant de près ou de loin à la mise en œuvre définitive du Cérébro-scripteur.

— Il en va en effet du salut de la France, dirent gravement, à l’unisson, le Chef de l’État et son Ministre de la Communication.

Mais ils n’achevaient pas ces franches paroles qu’on entendit des véhicules résonner dans les tunnels du labyrinthe élyséen. On frappa brutalement sur la porte. Jean-Pascal ouvrit. Et c’est le colonel Limogeard qui fit apparition, en tenue militaire, flanqué de plusieurs policiers en bottes, l’arme au poing.

— Que se passe-t-il ? ordonna le Président.

— Au nom de la loi, j’ai le devoir d’arrêter sur-le-champ le Ministre Urbain Cesfron, coupable d’intelligence avec l’ennemi.

— Quoi, vous ? dit le Président, étonné.

Suivit un silence accusateur :

— Nous avons la preuve, dit Limogeard, que le traître Cesfron vient de livrer un grand nombre de CRRS à des puissances étrangères !

— Vous ? répéta le Président à l’attention d’Urbain, comme s’il avait ignoré les faits.

— Ça alors ! fit Jika.

Jean-Félix n’en croyait pas ses yeux, enfin ouverts.

— Voici le dossier, dit Limogeard en tendant une liasse de papiers au Chef de l’État. La preuve est flagrante. Il s’agit d’un acte criminel.

— Criminel ! fit en écho le Président.

Urbain Cesfron était d’une pâleur telle qu’on eût pu craindre qu’il ne défaillît.


(À suivre)


Le Songeur