AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (307)

SONGE D’UNE NUIT D’AUTOMNE

Je ne dormais plus.

Du matin jusqu’au soir, sous le nom de « pluies orageuses », nous avions vécu l’un de ces jours funestes où le ciel se transforme en une mer démontée. Les nuées se bousculaient l’une l’autre, sauf en de rares moments où, étrangement, une échancrure de bleu ciel faisait irruption dans la grisaille, comme une beauté rescapée du Paradis perdu qui hante continûment mes nostalgies. C’est seulement en fin d’après-midi que des écharpes de brumes, de plus en plus denses, avaient occupé et brouillé l’espace, en le stratifiant de ces nappes pleureuses où semble se désespérer à jamais un horizon inconsolé.

Envahi de tristesse, j’ai fini par m’assoupir plusieurs heures, jusqu’à ce que je me retrouve soudain en éveil. Le temps avait passé sans que rien ne se passe. J’ai pensé qu’après les tumultes du jour, la Nuit devait être largement avancée. Et j’ai alors eu envie de contempler l’état du firmament.

Une lune tranquille régnait sur le monde nocturne, qu’elle saturait de tout l’éclat de sa lumière. Rien ne semblait lui échapper. Simplement, sereinement, elle avait calmé l’univers pour rétablir son règne. Elle ne bougeait pas : elle dominait pour dominer, ayant pris le pouvoir pour l’éternité. Pas un nuage, pas une ombre ne voilait sa face, qui eût feutré son ardeur corrosive.

Sous cette implacable clarté de l’astre immobile, partout des masses sombres, bien qu’inanimées, donnaient l’impression de trembler en silence. Inquiètes, sans doute tétanisées, elles diffusaient autour d’elles, on ne sait comment, un rayonnement invisible propre à nous pénétrer de leurs angoisses muettes.

Soudain, j’ai senti un frisson fugace traverser tout mon être : j’avais peur physiquement.

Quelle heure était-il ? Bientôt cinq heures du matin ? Je n’ai pas vérifié. Le Temps avait sans doute fait une pause.

Peu à peu, l’éclat froid du disque lunaire sembla faiblir ; mais c’était plutôt l’effet des lueurs de l’aube qui, éclairant l’Est, renvoyaient dans les ténèbres la lune à son couchant.

Se découvrit alors à mes yeux le morne spectacle d’un Levant doutant de lui-même, face à l’épouvante figée que la Tempête d’hier, en fuyant, avait laissée derrière elle.

Il était temps de s’éveiller, revivre, rassurer, ranimer les enfants, et ré-humaniser la Terre, comme chaque matin.

J’ai baillé à l’idée que je pouvais raconter cette nuit d’automne, histoire de désennuyer mes lecteurs.

Et doutant d’y parvenir, je me suis recouché.

Voilà.

Ce fut tout, pour cette nuit-là.

Le Songeur  (27-10-2022)



(Jeudi du Songeur suivant (308) :
« POURQUOI SE PARLE-T-ON À SOI-MÊME ? — COMME SI L’ON AVAIT DES CHOSES À SE COMMUNIQUER… » )

(Jeudi du Songeur précédent (306) : « DOUTES, QUESTIONS, ILLUSIONS, DÉSILLUSIONS… MÊME COMBAT ! » )