AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

Série Songes oubliés-VI

RIMES À RIEN NON SANS RAISON

Un soir d’heureuse ivresse

Sur le boulevard du cimetière

J’ai programmé mon GPS

Pour m’envoyer en l’air

Il demandait : à quelle adresse ?

J’ai répondu : Rue de l’Enfer !

Mais, fit-il, l’enfer c’n’est pas en l’air !

L’Enfer, Monsieur, il est sous Terre !

Bien au-dessous même de l’eau

Qui coule sous le pont Mirabeau !

— Vraiment ? lui ai-je dit,

Eh bien, ma foi, tant pis :

Partons pour le paradis !

— À quelle adresse, Monsieur ?

— Eh bien, voyons, chez Dieu !

— Mais, reprit-il, savez-vous

Précisément où ?

— Comment ça, « où » ?

Voyons, mon bon : Dieu est partout !

Nous partîmes alors en brûlant les feux verts

De vastes avenues menant à l’Univers,

En quête de déserts,

Et d’oasis,

Où Dieu cache, dit-on, des sommes colossales

Que le Vatican place au Paradis fiscal.

Mais ce n’était pas rien de monter jusqu’aux nues,

La Toto toussotait dans le clair obscur blanc

Du vide

D’où parfois surgissaient des sphères inconnues

Puis grimpait en glissant sur l’asphalte ascendant

De lacets enroulés au fil du firmament

Si bien que forcément

Le spectacle bientôt se fit si renversant

Que l’astronef se retrouva sur le dos,

K.O.

Tel un coléoptère agité dont les pattes

Vainement dans l’espace et dans l’air se débattent !

Et moi, je me disais, en m’allongeant immensément

Dans les draps luxueux des couleurs du couchant

Qu’il suffit tout à coup d’être tête à l’envers

Pour deviner enfin le sens de l’univers,

Où les poètes vont rêvant

J’entendais l’astronome Prévert

Dire en riant : « De deux choses l’une,

L’autre c’est le soleil »,

Aragon en plein sommeil

Cherchait en vain la « lune »

Et l’ami Magritte,

Bourré plus encore que sa pipe,

Peignait en pleine Voie lactée

Dieu trônant sur la clef de la voûte étoilée

Les audacieux cherchaient quelques chemins de fer

Menant vers des astres de feu,

Puis embarqués sur des quais imaginaires

Déraillaient dans l’air bleu,

Réduits à fulminer contre le chef de Gare,

Lequel faisait grève par hasard

Refusant de souscrire à l’ignoble dessein

De quadriller nos destins

Le Ciel ouvert

De l’univers

Voile et dévoile

À l’être humain

Les longs chemins,

De son étoile.

C’est alors qu’émergeant hors d’haleine

De l’Océan des Cieux aux rivages effacés,

On entendit soudain crier une baleine :

C’est assez !

Et les mots titubant

Riaient dans le vent,

Et les mots délirants,

Sans cesse vont rêvant

Nostalgiquement

De revenir en avant

Refaire le Temps

Vienne la Nuit sonne l’Heure

Le Rêve demeure

Le Rêve

Jamais

Grève

Ne fait

Le Songeur  



(Songe oublié suivant (VII) : « SERAIS-JE MISOGYNE ? » )

(Songe oublié précédent (V) : « LA GUÉGUERRE DES YEUX » )