AFBH-Éditions de Beaugies 
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Songe à ne pas oublier n°60

IMPRESSION : FORÊT, PLEIN JOUR

Voici une aquarelle qui m’a subjugué :

Aquarelle

En découvrant ce paysage, je suis tombé en arrêt. Non pas que je fusse capté par une sorte « d’arrêt sur image », ce qui est de l’ordre de la réception, mais plus précisément par un « arrêt sur vision », ce qui est alors une projection.

J’ai donc fantasmé plutôt que regardé. J’étais moins dans la perception (objective) que dans l’état de rêverie, pressentant sous mes yeux tout un horizon d’attente qui m’est quelque part personnel.

En effet, ce qui m’apparaît n’est pas un tableau, mais la pause dynamique d’une longue marche silencieuse, une odyssée dont j’ignore le mystère, l’avancée d’une troupe en quête de ce qui l’illumine, un troupeau d’arbres vivants habités d’une clarté intérieure qui les porte en avant.

Voici plusieurs années qu’ils cheminent, venus d’obscures contrées lointaines, vers ce « pays de lumière » qui leur a semblé promis à tous ceux qui vont au bout du chemin.

Avant d’y accéder, ils font une halte sereine. Ils sont sur le point d’arriver, dès demain à l’aube ; et si ce n’est pas demain, ce sera après-demain.

Ils ont marché sans trêve, emportés et portés par leur Rêve dynamique. Et plus ils progressaient, plus ils avaient l’air irradiés d’avance par la flamme intérieure qu’ils poursuivaient, et dont ils espéraient bientôt se revêtir.

Ils allaient de sentier en sentier, sans suivre aucune route. L’horizon lumineux suffisait à les guider le jour durant, et quand venait la nuit, sur leur lancée tranquille, ils gardaient le sens de l’orientation acquise au long de la journée.

Je vois dans cette évocation que la vraie lumière est intérieure : elle préexiste en nous bien avant qu’on la recherche hors de nous. Il n’y a pas de marche qui ne soit soutenue par un Rêve intérieur. Il y a au fond de nous-mêmes, dans nos racines, une clarté en germe qui nous pousse à marcher vers la lumière inconnue qu’elle pressent.

Ces arbres en file d’attente sont les pionniers d’un espace-temps où ils s’apprêtent à pénétrer pour survivre, pour sur-vivre même, au sens littéral (vivre à un niveau supérieur) avec une ferveur nouvelle, et comme transportés par l’espérance extatique qui les a guidés. Toute marche authentique doit se faire un transport.

Et peut-être cette odyssée est-elle moins une aventure nouvelle qu’un retour à la clarté d’une époque lumineuse, celle qu’on qualifie souvent de « paradis perdu. »

Ainsi, cette vision d’arbres migrants allant vers un pays de lumière m’assure que le paradis perdu existe toujours et qu’on peut le retrouver ensemble.

Par le Rêve, ils sont déjà dans l’espace-temps qu’ils vont redécouvrir demain, sans se douter qu’en fait, c’est cet espace-temps qui va pénétrer en eux-mêmes.

Et en moi comme en vous, avec eux.

Le Songeur  




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