AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (49)

DIEU PEUT-IL SE REFAIRE ?

Je songe à ce personnage étrange et familier qui hante mes fantasmes : Dieu.

Dans l’un de mes derniers rêves, j’entendis une Voix crier dans la nuit : « Dieu se cherche un Patron ! ». Je répliquai aussitôt dans mon sommeil :

— Impossible, voyons : c’est Lui, le Patron !

La Voix me répondit, ironique :

— Chacun se cherche à sa façon, mon ami !

Et de préciser :

— En la circonstance, le mot « patron » doit être pris au sens vestimentaire. Dieu se cherche simplement une autre manière d’être et de paraître, un nouveau paradigme existentiel. Comme vous, pauvres humains, quand vous dépouillez le vieil homme pour revêtir l’homme nouveau.

— Pff ! fis-je, c’est de la théologie de pacotille !

Mais à l’instant, je fus transporté dans une forêt lointaine, à une croisée de chemins où Dieu lui-même m’attendait, assis sur un banc. Il s’était donné provisoirement une apparence humaine, pour ne pas m’effrayer. Il semblait à peine plus âgé que moi. Et nous nous trouvions là, côte à côte, comme si nous poursuivions une conversation depuis longtemps commencée, entre vieux amis qui se tutoient. Les rêves, c’est comme ça, et ma paranoïa s’en trouvait fort flattée.

— De quoi est-il question ? lui dis-je humblement.

— Je Me cherche, dit-il. Et tu peux m’aider, en tant que théologien amateur.

— Moi ?

— Oui, toi. Toi qui as l’art de poser des questions portant en elles-mêmes leurs réponses… tu dois pouvoir trouver des réponses aux problèmes que les autres se posent.

— J’ai une idée, dis-je : Tu ne Te chercherais pas si Tu ne T’étais trouvé.

— Holà, mon ami, tu ne t’en tireras pas avec des citations qui n’amusent plus personne !

— Pardonne-moi, Seigneur ! Je cite toujours, c’est plus fort que moi. On ne se refait pas !

— Justement, tu touches là mon point sensible, dit Dieu : Je voudrais Me refaire.

— Quoi ? Toi, Créateur de toutes choses ? Mais comment l’une de tes créatures pourrait-elle T’éclairer là dessus ? C’est Toi, le Tout-Puissant, ne l’oublie pas.

— Précisément…

— Moi, je ne suis rien. Toi, Tu peux Tout, Tout, Tout !

— Est-ce que tu veux m’écouter, au lieu de bavarder ? Bien sûr que j’ai la Toute-puissance ! Depuis l’aube des temps, Je réussis tout. Quoi que Je fasse, c’est toujours parfait. Je me suis fait Moi-même, ce fut parfait. Je Me suis fait tout seul, du premier coup. Mais quand J’essaie de Me modifier, rien à faire : Je suis encore parfait ! Ah, comme tu as raison de dire qu’on ne se refait pas ! Ça fait des siècles et des siècles que Je suis parfait, parfait, parfait !

— Je sais, on dit même « plus-que-parfait ».

— Ah, tu remues le fer dans la plaie ! Toi qui as la chance, fils d’homme, d’être né taré !

— Taré, moi ? T’exagères pas un peu, là ?

— Je veux simplement dire que tu es venu au monde marqué par la tare du péché originel. Voilà ton avantage : tu es libre, libre d’être imparfait, comme toute créature. Moi pas.

— Ce n’est pas l’avis de tous les théologiens.

— Mais si ! Toi, tu as la liberté de faire des bêtises, de rater tes entreprises, d’échouer dans tes projets. Alors que Moi, voué à la perfection, Je m’ennuie à tout bien faire. Et c’est mon Essence ! Depuis toujours. J’ai bien cherché, pour Me changer, un modèle idéal d’imperfection. Mais en vain : à chaque fois, Je Me retrouve parfait. Je Me rate, puisque Je Me réussis malgré Moi. Tu comprends ça ? Ah, comme je t’envie, toi, le taré !

— Je comprends. Ton tort, peut-être… Enfin, si j’ose, c’est de t’être fait tout seul. La perfection engendre la perfection. Moi l’humain, pour réussir à me rater, ils s’y sont mis à deux.

— Je suis infiniment malheureux ! dit Dieu.

— Je comprends, dis-je.

L’accent plaintif du Créateur me fendait le cœur. Même s’il en rajoutait, Dieu m’inspirait pour Dieu une infinie compassion. Qui donc eût cru que Dieu pût s’ennuyer ! Et que faire ? Lui parler de ses proches, son Fils aimant, son Esprit glorieux ? C’était risqué, je n’étais pas assez au fait de leurs relations mutuelles. Avec Dieu, on peut toujours gaffer.

C’est alors que je fus traversé par une illumination qui me surprit moi-même :

— Ton cas est probablement désespéré, dis-je au Tout-Puissant, en posant la main sur son épaule. Mais j’ai peut-être une idée… enfin, un truc à tenter.

Je lui glissai à l’oreille ma suggestion. Dieu sourit largement. Puis tout disparut, d’un seul coup ! Et je restai seul dans la nuit, ne sachant plus trop ce qui venait – en songe – de m’arriver.

Je sais seulement qu’au moment de m’éveiller, j’entendis, venue des confins du cosmos, une Voix paternelle disant à un enfant, avec un accent méridional : « Hé, petit, va un peu chercher ta Mère, que Je Me refasse. »

Le Songeur  (26-02-15)



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