AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (317)

ÉCONOMIE D’ÉNERGIE : LA MÉTHODE OBLOMOV

[Portrait]

Mon voisin Oblomov (pseudonyme*), a le secret de s’épargner les efforts inutiles.

Cela commence le matin : à quoi bon faire son lit, puisqu’on le défait de toute façon le soir, en s’y pelotonnant ? Cela n’aurait pour effet que d’agiter les poussières, le faire éternuer – grosse dépense énergétique –, ce qui en outre dérange le silence, et risque de l’enrhumer chose pénible.

Dans le même esprit, il s’évite, tous les six mois, la fatigue de remettre à l’heure sa montre, son réveil ou sa pendule, puisque de toute façon ce passage revient rituellement à l’horaire antérieur. Il lui suffit d’en garder la pensée pendant six mois lorsqu’il consulte les écrans, sachant en outre que l’opération est toujours fatalement imprécise : on ne retrouve jamais l’heure exacte quand on en change ; on prend seulement le risque de fausser le mécanisme des objets. Quel gain de temps, si l’on y songe !

Oblomov aime ce qui est lisse et simple. Il a horreur de voir émerger des taches sur les murs. À ces saletés qui ressortent, il préfère clairement la crasse qui, insensiblement, couvre les surfaces de sa pellicule uniforme, qui ne nuit pas à l’œil, et de plus, renforce les murs en les épaississant.

On ne s’étonnera pas que, semblablement, Oblomov ne s’acharne pas à tirer la chasse d’eau de ses toilettes pour un oui ou pour un non. Il sait attendre qu’il y ait vraiment matière à chasser, économisant ses efforts en même temps que l’eau si précieuse à l’humanité, ce qui fait de lui un écolo discret qui ne tend jamais à culpabiliser autrui.

Ce n’est pas tout. Par principe, il évite la marche à pied dans son petit bourg. Pour faire ses courses à l’épicerie locale, qui se trouve à 120 mètres de son rez-de-chaussée (il l’a choisi pour s’épargner d’avoir à monter des étages), il prend sa mini-voiture. Au volant, quand il lui arrive de quitter sa ville, il prend soin sur la route de changer de vitesse le moins possible, au risque de ralentir tout le monde, ce qui lui évite de se fouler les pieds en débrayant, voire de se faire quelque entorse en freinant.

Il n’abuse pas non plus de la parole : ça fatigue la gorge. Pourquoi dire « Bonjour » le matin par temps froid, alors que ce souhait ne change rien à la météo : c’est l’exemple même du vœu pieux, car la journée est toujours ce qu’elle est. Idem pour le « bonsoir » qu’on dit inutilement à bien des gens, qu’il leur arrive ou non malheur au fil des nuits.

La pratique des échanges sociaux comportant des appels dérangeants, il affecte une certaine surdité, mais se dit surtout beaucoup plus sourd qu’il ne l’est, pour n’avoir pas à tendre les oreilles, ce qui finirait par les décoller.

Il ne ménage pas seulement ses ouïes : il économise les exercices visuels. S’il lui arrive de lire, ce qu’il préfère en littérature ce sont les genres courts, les nouvelles plutôt que les romans pour ne pas se fatiguer précocement les yeux. Son meilleur choix, ce sont les recueils de maximes. S’il écrivait, il préférerait le genre de l’aphorisme : il écrit de toute façon le moins possible, pour ménager ses poignets.

Dès que le Cérébro-scripteur** sera disponible sur le marché, il s’offrira la jouissance de télépenser-écrire directement sur son ordinateur sans avoir à quitter son lit.

Le connaissez-vous ? Il est peut-être aussi l’un de vos proches ou amis.

La Bruyère  (16-03-2023)


* Le Songeur a choisi de le nommer ainsi par référence au héros de l’écrivain russe Gontcharov auteur du roman éponyme : https://fr.wikipedia.org/wiki/Oblomov.

** Invention conçue pas François Brune dans le récit éponyme (Éditions de Beaugies, 2014).



(Jeudi du Songeur suivant (318) : « ENTRÉE EN SIXIÈME, ÉPREUVE DE RÉDACTION » )

(Jeudi du Songeur précédent (316) : « DES YEUX M’ONT REGARDÉ QUELQUE PART DANS LA FOULE… » )