AFBH-Éditions de Beaugies 
AFBH

Les Jeudis du Songeur (285)

PAUVRE JOSEPH

S’il y a un point de la doctrine catholique, révéré par de pieux croyants mais qui amuse les autres, c’est bien la question de la perpétuelle Virginité de Marie. Je ne voudrais blesser personne, mais cette croyance a quelque chose de délirant dont il vaut mieux rire que gémir, sachant qu’heureusement, tous les théologiens ne la partagent pas.

J’imagine volontiers cette anecdote fictive : un Ange un peu pervers (ces gens-là se croient tout permis), croise Marie sur un chemin rural :

— Salut Marie, ça va ?

— Ça va.

— Au fait, toujours vierge ?

— Oui, euh, c’est-à-dire que… enfin (rougissante), Je suis la servante du Seigneur.

C’est un peu lourdingue, avouons-le. Cependant, ce caractère acquis revient sans cesse dans les textes sacrés louant la sainte Vierge, comme dans le Confiteor où le pénitent confesse ses péchés à la « Bienheureuse Marie toujours vierge »…, depuis deux mille ans. De même que dans l’épopée grecque chaque héros se définit par un trait identitaire irrécusable (le bouillant Achille par sa colère, le subtil Ulysse par sa ruse), de même, dans le discours de commémoration catholique, Marie n’existe substantiellement que comme « toujours vierge ».

La chose est d’autant plus troublante qu’elle contredit la lettre même de l’évangile, comme je le rappelais récemment*. D’où la question : pourquoi ce fantasme ? Pourquoi tant de clercs et croyants ont voulu que cette femme restât vierge après l’opération délicate d’un Seigneur venu passer la féconder pour qu’elle conçoive un Fils divin ? Impossible de ne pas penser que pour ces rêveurs, l’union charnelle a quelque chose d’impur inconciliable avec la divine sainteté, qu’elle « salirait ». Impossible de ne pas se souvenir de ce fameux « droit de cuissage » que s’octroyaient les Seigneurs médiévaux, laissant pourtant charitablement aux vilains (paysans, artisans) un droit de passage en ce lieu pollué. La différence est que, dans le délire catholique apostolique et romain dont nous parlons, même cette consolation seconde est interdite à l’époux légitime condamné à la chasteté éternelle. La béatitude de Marie n’est pas celle de son mari.

« Pauvre Joseph ! », me disait mon ami Alain, qui ne méprisait pas les dons de Vie du Créateur.

Au point qu’un Abbé de l’Institution où j’étais interne entendait, le jour de la saint Joseph, revêtir une chasuble jaune (couleur symbolique du cocuage) pour célébrer la Messe. Et je ne suis pas vraiment sûr qu’il eût préconisé par plaisanterie ce zèle liturgique.

Quoi qu’il en soit, je trouve insoutenable qu’une Institution aussi puissante que l’Église, mondialement renommée, puisse encore véhiculer avec gravité de telles inepties sans se discréditer, et notamment lorsque se découvre aujourd’hui l’épidémie massive d’abus sexuels qui se sont produits en son sein. C’est sous la chappe même de son purisme réactionnel qu’ont toujours couvé des retours du refoulé :

« L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. » (Pascal, Pensées, 358, édition Brunschvicg).**

Le Songeur  (03-02-2022)


* Selon la doctrine catholique, Marie, épouse de Joseph et mère de Jésus-Christ, non seulement s’est trouvée enceinte, quoiqu’encore vierge, par l’opération de l’Esprit Saint, mais encore, le serait demeurée jusqu’à fin de ses jours, contrairement à ce que précise Matthieu en écrivant que son époux Joseph « ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta un fils » (Matthieu, I, 25), ce qui laisse entendre qu’elle ait accédé par la suite avec Joseph à une vie de couple légitime et normale…
https://fr.wikipedia.org/wiki/Virginit%C3%A9_perp%C3%A9tuelle_de_Marie

** Pascal résume ici avec force, une idée antique commentée par Montaigne.
J’ajouterais volontiers que, si le christianisme a l’ambition et parfois le mérite d’être une religion de l’Incarnation, il se nie lui-même en enfermant le saint Couple dans l’idéal de sa stérilité volontaire. Bloquer l’essor d’une femme en la fixant au stade de sa virginité est une mutilation morbide de ce qui devrait être la plénitude de sa dimension humaine (la maternité). Le comble de la maternité ne sera jamais la stérilité volontaire, et malheur aux religieuses qui ont idéalisé cette mutilation en la prenant pour une vocation : que de souffrances inutiles, elles-mêmes stériles, la dogmatique ecclésiale a ainsi occasionnées en la consacrant !



(Jeudi du Songeur suivant (286) : « LA MINUTE DE L’AMITIÉ » )

(Jeudi du Songeur précédent (284) : « IL EST TEMPS QU’ON ME RENDE DES COMPTES » )