AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (229)

MORALE CIVIQUE

Un jour, dans une république idéale, il arriva qu’un Ministre bien sous tout rapport, y compris le rapport sexuel, trompât abondamment sa femme, sans même en aviser ses enfants.

Pour combler sa maîtresse en son absence, il lui offrait de temps à autre une vidéo rassurante de son sexe en érection : quand on aime, on ne compte pas.

Fait notable, pour un professionnel de la politique, il illustrait, ce faisant, son évidente capacité à tenir ses promesses.

Il advint aussi, hélas, que des scélérats sans foi ni loi, inconscients du caractère criminel de leurs agissements, s’ingénient à mettre en ligne ce spectacle, pour que nul n’en soit « privé», ni les chômeurs, ni les Rmistes, ni les multiples défavorisés qui, faute de travail, s’ennuient à mourir dans leurs existences sordides.

Que fit alors le beau ministre, surpris de la soudaine popularité de ses exploits ? Il porta plainte ! Il saisit la Justice, à l’encontre des misérables fauteurs de cette divulgation, dans la louable intention de restaurer la confiance de son épouse, l’innocence de ses enfants et la paix de son foyer.

Aussitôt, la grande famille fraternelle des politiciens de tous bords, sensible à l’infortune inattendue de ce haut magistrat, dénonça sans coup férir les criminels acharnés à calomnier le pauvre homme, lesquels polluaient ainsi la pureté de l’air de notre merveilleux espace public. Mettre en cause l’intégrité privée des élus, mais voyons : c’était corrompre la démocratie !

Des condamnations exemplaires furent exigées, conformément à la Parole même de Jésus-Christ qui disait : « Malheur à celui par qui le scandale arrive à la connaissance de l’opinion publique ! » — ou quelque chose comme ça*. Il fallait d’urgence réintroduire un minimum de salubrité publique concernant la notoriété et la « transparence » des responsables de la nation.

Des pétitions de principe furent proclamées, rappelant à la fois l’importance de l’Éthique dans la vie publique, et de la permissivité des conduites personnelles dans l’espace privé.

L’horreur eût été de confondre les deux ordres. Il n’était pas question, par exemple, d’établir un lien entre les mensonges d’un mari cavaleur qui trompe son épouse à tout bout de champ, et les impostures de ce même individu qui, en tant que responsable politique, trahit sans vergogne ses électeurs, ment au peuple/public, et multiplie les malversations au sein de la Mairie qu’il gère. De même, il n’était pas permis de penser qu’un haut fonctionnaire dont les liens privés avec les puissances financières lui valent des pactoles démesurés, puisse manquer d’intégrité dans la gestion des biens publics à laquelle sa haute compétence le requiert parfois, — c’est cela, Messieurs, l’exigence démocratique.

Désormais, oser informer le peuple sur la vie privée des magistrats, c’était un manquement grave à la Vertu républicaine. Le risque étant en outre de révéler ces mauvais exemples aux yeux des enfants, et de rendre du même coup les publics voyeuristes.

Il n’y avait plus que les masses laborieuses et stupides pour s’imaginer qu’une seule et même morale commune, une « common decency » disait-on en anglais, devait régir à la fois la vie privée et la vie publique des élites. Il fallait croire civiquement au progrès spirituel de celles-ci, et se taire sans chercher à en savoir davantage.

Nous vivions enfin dans une « Démocratie avancée ».

Le Songeur  (20-02-2020)


* Jésus-Christ en effet s’est permis d’être plus bref : « Malheur à l’homme par qui le scandale arrive. » (Matthieu XVIII, 7). Concernant le responsable dont nous parlons, sa carrière politique est à jamais compromise : il sera toujours ce Ministre qui, à plus de 40 ans, faisait joujou avec son zizi pour épater sa p'tite copine (extra-conjugale).



(Jeudi du Songeur suivant (230) : « LA FENÊTRE DE TROP (suite possible) » )

(Jeudi du Songeur précédent (228) : « RETOUR À L’HUMUS » )