AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (219)

REPRENONS LE COMBAT

Et si cet appel à Résister à l’Agression Publicitaire (RAP, 1993) était encore actuel ?*

Un double combat • par François Brune

L'oppression matérielle, quantitative, omniprésente, est l'aspect le plus visible de la publicité. Mais il n'est pas le seul. L'autre est plus caché, plus insidieux, mêlé aux autres langages dits « de notre temps » : c'est sa nature idéologique. Le premier nous est insupportable par l'encombrement extérieur dont il obstrue notre existence quotidienne ; le second l'est, bien plus encore, par les idées, les réflexes, les images parasites dont il peuple nos têtes.

Aussi sommes-nous conduits à un double combat. Il y a une résistance physique, matérielle, quantitative à opposer à toutes les manifestations, les affichages, les tirs de barrage médiatiques qui nous assaillent à chaque campagne. Mais il y a aussi une lutte idéologique à mener contre les modèles de vie, de modernité, de bonheur qui nous sont présentés comme idéal d'existence dans la société de consommation, et qui sont d'autant plus insidieux qu'ils se sont généralisés : l'idéologie publicitaire ne se cantonne plus dans la seule publicité. Elle imprègne tout le champ médiatique.

Il y a, à un premier niveau, de bons ou de mauvais produits, des publicités plus ou moins informatives, des campagnes plus ou moins agressives, des procédés commerciaux plus ou moins malhonnêtes, et cela mérite bien une guerre de tranchées, des dénonciations précises, des actes ponctuels, des actions juridiques.

Et il y a, au second niveau, continûment et subrepticement, le système idéologique qui réduit toute la vie aux spectacles de la consommation (elle est l'avenir des jeunes, futurs chômeurs ou non), qui assimile le bonheur à l'achat des produits, qui pousse le grand public à une fuite en avant dans une euphorie anti-crise, qui frustre les plus faibles en leur faisant désirer les biens qui ne comblent pas les plus riches, qui entraîne des majorités de bonne foi dans une sorte d'intolérance tranquille (elles en arrivent à dire : « Comment peut-on ne pas aimer la publicité, alors qu'elle est partout et que nous baignons dedans ? Il faut vivre avec son temps. »), et qui menace d'exclusion tous les rebelles aux formes dégradées du « bonheur » que diffusent les médias.

Contre ces effets idéologiques de la publicité, il n'y a guère d'arme juridique. La seule force efficace est la lucidité, la conscience toujours en éveil, l'état d'alerte intérieur contre les mystifications dont nous sommes l'objet, et contre les complicités qu'elles peuvent trouver en nous-mêmes. La lucidité, et ses corollaires actifs : l'explication, l'analyse, la démystification, le débat, l'éducation, partout où cela est possible, et auprès de ceux qui le veulent bien. À ce niveau, la guerre de tranchées ne suffit plus. Il faut aussi dissiper sans cesse les fumées pernicieuses qui polluent le ciel environnant. Un gilet pare-balles ne suffit plus, lorsque c'est l'air du temps qui est « gazé »…

Soyons militants. Soyons intelligents. Soyons pédagogues. C'est en répandant la lucidité critique sur l'idéologie publicitaire que nous rendrons inopérantes les images, les fausses valeurs dont elle se sert pour vendre. Il faudra bien faire reculer l'ordre commercial en désamorçant ses pièges. Obliger le « faire-vendre » à redevenir un simple « faire-connaître ». Obliger le produit à ne plus envahir le champ social et à réintégrer sa sphère propre, celle du simple « centre commercial ». Ainsi, le travail de riposte matérielle (premier niveau du combat) est inséparable du travail de critique idéologique, second niveau de résistance. C'est notre citoyenneté, libre et entière, qui est à reconquérir et à vivre à travers ce double combat.

Le Songeur  (28-11-2019)


* Vous le saurez après-demain, en lisant dans La Décroissance de décembre (disponible dans la majorité des kiosques), qui fait l’historique des « Casseurs de pub », ce que dit François Brune du Combat qu’il n'a pas cessé de mener depuis…



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