AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (213)

« QUAND TOUT SE PASSE COMME SI… »

Je songe souvent à cette expression aussi tentante que déraisonnable, et plus exactement « irraisonnée » : « Tout se passe comme si… », et donc, c’est que.

Formellement, c’est là un sophisme : ce qui a l’air d’être n’est pas ce qui est. Cela reste à prouver. En d’autres termes : « comparaison n’est pas raison », autre maxime intéressante, en ce qu’elle illustre l’idée qu’elle exprime dans sa formulation même (les deux mots se ressemblent par le son mais diffèrent par le sens : la parenté des « signifiants » n’implique nullement celle des « signifiés »).

Exemple parascientifique : le fait que le soleil, au fil d’une journée, se déplace d’un horizon à l’autre tout comme s’il tournait autour de la Terre, ne prouve pas que… C’est nous qui tournons sur nous-mêmes ! À moins d’imaginer que ce soit le système solaire, notre galaxie et l’ensemble même de notre univers qui tournent à une rapidité prodigieuse autour de nous, ce qui supposerait en effet que les étoiles les plus éloignées de la terre – le Centre –« roulent » sur leur trajectoire (la circonférence) à une vitesse bien supérieure à la vitesse-limite de la Lumière, chose impossible selon, Einstein.

Et cependant, nous sommes, et je suis moi-même, très souvent séduits par ce sophisme, ce glissement métaphorique qui nous fait conclure que : Si Tout Se Passe Comme Si… C’est donc que… C.QF.D.

Je dois l’avouer : en tant que « songeur » même, me situant dans l’intuition plus que dans la rigueur, je cède souvent à ce facile glissement de pensée, erroné certes, mais parfois si fécond pour qui aime à se livrer aux séductions de notre imaginaire, lequel nourrit toujours en profondeur l’inappréciable faculté qu’est la Rêverie humaine, comme le montre toute l’œuvre de l’épistémologue Gaston Bachelard…

Voici par exemple une sentence qui n’est pas mienne, mais que j’adopte sans réserve :

« L’Homme est avant tout la Conscience que l’Univers a voulu se donner de lui-même ». Je l’ai évoquée dans le texte Du moi-rien à l’Univers-Néant*. Je crois que cette formule est d’un savant contemporain du père d’Aldous Huxley. À voir la façon dont les diverses phases de l’Évolution se sont succédées (cosmogenèse / biogenèse / anthropogenèse et « noogenèse »* ajoutera Teilhard de Chardin) il semble qu’elles aient permis à l’Homme d’être « conçu et produit » par l’Univers, de telle sorte qu’il soit parvenu à le comprendre et partiellement le soumettre : on a alors bien l’impression que l’Homo sapiens était programmé pour devenir, de notre Monde, à la fois le Centre, le Fruit, la Conscience, et bientôt le Maître..

Bref, tout s’est passé comme si, et quand tout se passe comme si, c’est que.

Je sais bien que formellement, cette « croyance » est un pur sophisme. Et cependant, l’intuition en moi ne peut s’empêcher d’y adhérer, en essayant d’y lire et d’en vivre le sens profond de la Destinée humaine.

Je n’ajouterai rien à cette considération. Les grandes intuitions ont toujours intérêt à être exprimées le plus brièvement possible. À chacun donc d’en juger…

Le Songeur  (17-10-2019)


* Voir La Deuxième Mort de Molière, p.311.

** Du grec, noos, l’esprit. La « noogenèse » est l’ère de la naissance de l’Esprit, l’avènement du meilleur de la conscience que l’être humain et l’ensemble de l’Humanité acquièrent d’eux-mêmes. Nous y sommes, mais cette longue parturition est loin d’être achevée pour tous… Au boulot, les enfants !



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(Jeudi du Songeur précédent (212) : « LA BLESSURE DE LA VIE » )