AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (189)

DU MOI-RIEN À L’UNIVERS-NÉANT

Souvent, le soir, j’observe l’Univers. À moins que ce ne soit Lui qui m’appelle et me capte. Impossible de savoir lequel de nous deux prend l’initiative. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a de l’addiction dans l’air. Nous avons l’un et l’autre besoin de notre dose. Moi, par besoin de me grandir à la dimension de l’objet, Lui, par besoin de se sentir exister dans une conscience humaine. Comme s’il m’avait engendré pour ça… L’Univers semble avoir autant besoin d’être contemplé que moi de le contempler. Nos désirs sont en phase : l’Univers et moi aspirons intensément l’un à l’autre.

Suis-je mégalo ? Est-ce moi qui fantasme, ou est-ce objectivement l’Univers qui se cherche un contemplateur sur mesure, un peu à sa hauteur, c’est-à-dire presque aussi infini que lui-même, fût-ce partiellement (tout est dans le « presque »).

Mégalo ou pas, je ne fais donc que répondre à sa quête, en modeste astronome débutant.

Mégalo ou pas, je vous jure pourtant que j’écris cela en toute humilité. Parce qu’à la vérité, je me sens vide, totalement vide ! Je suis un microcosme de rien du tout. Un petit vide avide qui aspire à s’emplir de fragments du Macrocosme. Et visiblement, celui-ci aime ça. Alors, pourquoi se priver ?

Partant de ce que je ne suis rien, j’ai bien le droit de m’emplir de tout ce qui pourrait me donner de la substance. Mon rien désire tout, c’est comme ça. J’essaie de m’enfiler galaxie sur galaxie, étoiles et trous noirs sans distinction, comme pour illusoirement peupler le néant que je suis. L’univers s’y retrouve évidemment : Il prend sens avec moi. J’absorbe donc pour survivre, insatiablement. J’ai l’appétit d’une baleine dont les étoiles seraient le plancton quotidien. Dès que je suis en manque d’astres*, j’ouvre les fenêtres de la Nuit, et si le Ciel de Paris m’est fermé par les nues, je me branche en direct sur Internet où un certain nombre d’astrophysiciens, se faisant sans le savoir les porte-voix de l’Univers, me permettent d’assouvir mon infini désir d’étoiles* Ces porte-voix, vous les connaissez peut-être, ce sont nos amis Hubert, Etienne, Aurélien, Marc, Jean-Pierre, dont voici les vrais noms pour plus de précision : Reeves, Klein, Barrau, Luminet, Lachièze-Rey, et j’en passe. Tous ces cerveaux doués rivalisent sans fin pour m’expliquer que l’Univers a 13,5 milliards d’années, que le Temps n’existe pas, que l’essentiel de ce qu’on observe est invisible pour les yeux, que la gravitation n’est qu’une illusion d’optique, que la matière n’attire rien, mais se contente de courber l’espace-temps, que le grand vide interstellaire n’est qu’un labyrinthe d’infinies courbes enchevêtrées,— toutes lumières nouvelles dont se repait mon esprit et que je ressens comme d’aimables clins d’œil que m’adresse l’Univers par le biais des interprètes qu’Il s’est choisis, au sein de l’infiniment petit où nous errons ensemble depuis l’aube des temps qui n’existe pas…

Me voici donc chaque soir contemplant les astres étoilés de trous noirs, et retrouvant à chaque fois la sublime question qui nous gratouille tous : Qu’y avait-il avant le Big Bang ?

OUI, qu’y avait-il avant le Temps, dont on n’est même pas sûr qu’il existe ? Je réécoute, sidéré, les évidences subtiles d’Etienne Klein ou d’Aurélien Barrau, et le grand Récit du monde selon Hubert Reeves. La soupe primitive est mon dessert du soir. J’essaie de songer, j’essaie de réfléchir et de comprendre enfin pourquoi cette grave question ne peut pas même avoir de réponse. Car, vous le savez peut-être : si cette question n’a pas de réponse c’est qu’elle n’a pas de sens !

C’est parce que le Big Bang est l’irruption-même de l’Espace-Temps (propriété émergente de la Matière), qu’il n’y a pas d’avant le Big Bang !

Abasourdi par cette sentence, je cours parfois en pleine nuit l’annoncer à ma femme qui s’était endormie, en modérant mon effroi :

— Figure-toi qu’il n’y a pas d’avant le Big Bang !

— « PAS POSSIBLE !! » s’écrie-t-elle en se dressant sur son séant, aussi terrifiée que si le sol se dérobait sous ses pantoufles.

Alors, je lui réexplique tout, pour la rassurer. Le Temps, s’il existe, ne peut pas avoir d’avant tant qu’il n’a pas déjà commencé ! Pas plus qu’il ne saurait y avoir, non loin du pôle Nord un point se trouvant plus au Nord que le pôle Nord lui-même ! Élémentaire, mon cher Watson ?

Et s’il n’y a pas d’avant, s’il n’y avait rien avant que les choses fussent, c’est que régnait le Néant !

Comment pourrais-tu imaginer, ma chérie, qu’il y ait eu quelque chose avant le ou dans le rien ? Voyons, ce serait aussi vain que de me demander ce que je pensais dix ans avant de naître ? (ce que j’ai oublié, suite à mon AVC)

Oui, Madame ! Tous les astrophysiciens, qui passent leur temps (s’il existe) à mesurer les démesures de l’Univers, sont désormais d’accord sur ce point : avant que tout soit, il n’y avait « rien » ! Leur seule divergence, c’est que certains préfèrent nommer « néant » ce que les autres décident n’être rien.

ON peut objecter que Rien, Néant, c’est du pareil au même. Sans doute, quoique… Enfin, ça se discute.

Si l’on veut vraiment différencier les deux termes, on n’y découvre qu’une légère nuance :

On peut dire par exemple que rien signifie plutôt « nulle chose », pas de matière. Tandis que Néant veut surtout dire, étymologiquement : « nuls gens » (né-gens : pas de gentes personnes, pas de races, pas d’êtres). Bref, le néant, c’est en quelque sorte le rien total, inhabité ! On n’y trouve encore ni l’Univers ni nous autres. Fabuleux, non ?

Je crois entendre encore l’ami Klein nous rappeler que, selon Bergson, la notion de néant est autodestructrice. On ne peut aucunement « penser » le néant, car vouloir le penser, donc le définir, cela revient à le nier en tentant de lui donner un semblant de consistance. Vous me suivez ? Ce qui n’empêcha pas le grand Pascal d’y voir l’origine naturelle du monde : « Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu’à l’infini ». Postulat que n’acceptent pas les astrophysiciens qui, comme vous et moi, en même temps qu’ils s’ébattent dans l’infini, ne manquent pas d’avoir la frousse de retourner au Néant.

C’est le moment de vous livrer un scoop, mon eurêka personnel, qui ne manquera pas d’ébranler la communauté scientifique internationale. Me fondant en effet sur l’idée que l’Univers a façonné mon cerveau à son image, j’ai eu soudain l’intuition qu’il suffisait d’examiner mon cerveau pour y chercher la clef du monde. J’ai mis du temps, du temps réel. À l’exemple d’Einstein, j’ai patiemment écouté mon étoile intérieure, et j’ai enfin découvert ce que recèle le néant primitif. Tenez-vous bien, voici le grand secret :

Avant, longtemps avant l’irruption du Big Bang, de sa soupe et de ses constellations en vadrouille, il existait tout de même quelque chose d’incroyable que mon expérience m’a confirmé maintes fois, et ce « quelque chose », c’était : moi-en-puissance !

Je le sens, je le sais.

La preuve que j’étais là en puissance, c’est que je le suis devenu.

Ne croyez pas qu’il s’agisse d’une illusion narcissique : ce que j’atteste est également valable pour vous-même : notre expérience est collective. L’Humanité et l’Univers ne seraient pas là pour de vrai si Elle et Lui ne l’avaient pas déjà été en puissance….

La preuve que nous étions possibles, c’est que nous sommes. Et vice versa. Le fait que nous sommes PROUVE que nous existions à l’état de possibles, bien avant d’advenir.

Certains astrophysiciens eux-mêmes, parlant des univers parallèles, affirment qu’ils sont déjà existants pour la bonne raison qu’ils ont pu les imaginer comme probablement possibles. Ainsi confirment-ils mon intuition à moi, ou si l’on veut, l’« expérience de pensée » qui m’est personnelle :

Depuis toujours, le potentiel fait déjà partie du Réel auquel il préexiste.

D’où il suit que tout se trouve en germe dans le Rien.

Le Néant est la matrice de l’Infini !

Ce sera ma modeste contribution à la Physique du 21e siècle…

Le Songeur  




* Cette expression est un pléonasme, en ce qu’elle ne fait que retracer l’étymologie du mot « désir ». Il faut se rappeler qu’à partir du latin « sidus,-eris = l’astre, l’étoile », le verbe considerare signifie « contempler l’étoile », être avec elle, tandis que le privatif desiderare a le sens contraire : « constater / regretter l’absence de l’astre ». Le désir, c’est le manque d’étoile !