AFBH-Éditions de Beaugies 
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Les Jeudis du Songeur (167)

SI J’AI BIEN COMPRIS, UN SYSTÈME C’EST…

Si j’ai bien compris, après avoir consulté quelques dictionnaires, un « Système » est un ensemble ordonné et cohérent d’éléments interdépendants, tel qu’il fonctionne et persiste à fonctionner par lui-même, de façon autonome. Les interrelations qui se tissent entre les parties de cet ensemble font que chacune agit sur toutes les autres, de même que cet ensemble structuré ne cesse d’influer sur la moindre de ses parties. On ne peut connaître le Tout qu’à partir de ses parties, comme on ne peut expliquer chaque partie sans avoir saisi la logique dynamique du Tout.

De simples réalités naturelles illustrent cette définition, comme le système nerveux ou le système solaire. Certes, ces objets que la science isole pour les comprendre sont liés à des systèmes plus vastes dont ils « font partie ». Mais, examinés en tant que tels, ils ont bien ce caractère de structures agissantes de façon autonome et cohérente.

Le système solaire, par exemple, n’est pas simplement un amas d’astres divers se baladant, au sein de notre galaxie, autour d’un noyau de feu nommé soleil. C’est un ensemble « organique » d’unités ou de morceaux de matière en interrelations, gravitant tous les uns par rapport aux autres, créant et modifiant sans cesse un champ d’espaces striés de voies qu’ils s’ouvrent (en n’ayant l’air que de les suivre), et ceci, en fonction de nombreux paramètres déterminant leurs mouvements (masses, positions, rotations sur soi, vitesse acquise, etc.). Ils forment système. Notre esprit, qui tend à les isoler les uns des autres pour mieux comprendre chacun, ne peut les étudier qu’en tenant compte de tous ces liens qui font qu’un astre n’est jamais solitaire. Si l’on choisit d’observer la Terre tournant autour du Soleil, on ne devra pas oublier que ce n’est pas la Terre seule, mais le couple Terre-Lune qui gravite ainsi. Si l’on choisit d’étudier les marées terrestres, il faudra bien tenir compte de la double influence Lune-Soleil sur celles-ci. Et si l’on s’intéresse aux vagues de matière en feu qui se meuvent à la surface du disque solaire, il faudra intégrer parmi d’autres paramètres l’effet minime de la petite masse Terre-Lune sur la grande masse de notre maîtresse-Étoile. Tout se meut, mutuellement, et ce qui nous semble fixe, ne fait que se mouvoir plus lentement.

De ce qu’il existe, en soi, des systèmes répondant à cette première définition, il ne faut pas en déduire que tout ce que nous appelons « système » soit ipso facto une représentation fidèle de la réalité que notre esprit perçoit et décrit comme tel. Ce qu’on appelle « système », en un second sens, c’est une sorte de théorie concrète que l’homme forge à propos d’un ensemble de réalités qui lui semblent fonctionner par elles-mêmes selon une cohérence d’ensemble qu’il nommera « les lois du système ».

Le mot système désigne alors un ensemble à demi issu d’une réalité dont la cohérence interne s’impose à l’observation, à demi produit par la pensée humaine qui a circonscrit et interprété le champ d’observation de cette réalité. Le système capitaliste. Le système politique. Le système des médias. Il y a bien une « logique », des interrelations d’éléments, des causes et des effets qui s’enchaînent en boucle, et déterminent à la fois la situation et l’évolution de telle ou telle réalité dont on parle. Mais le locuteur peut « forcer » le trait, et vouloir réduire le réel observé au schéma qu’il en donne. Pour désigner « l’ordre établi », dans une société qui semble fonctionner d’elle-même, on dira par exemple « le système ». Cet emploi se justifie d’autant plus que les réalités politiques ou sociales sont elles-mêmes structurées par les choix et les concepts de sujets humains : mais, en même temps, on veut dire qu’il y a une sorte de logique interne de la réalité prise dans son ensemble, une structure qui échappe aux volontés individuelles des hommes, indépendamment des éléments qu’intègre son fonctionnement.

Par exemple, quand Baudrillard intitule un livre Le Système des objets, il ne dit pas que ce « système » est sciemment organisé comme tel par des autorités politiques ou un pouvoir collectif, il veut dire que, selon des processus divers, les objets sont vécus par les individus de la « société de consommation » comme une forme de parole par lequel ils se signifient socialement sans totalement en être conscients. Le système fonctionne comme un langage, ils n’en sont que les éléments fonctionnels, et voilà tout.

Dans un troisième niveau de signification, se détachant largement de la Réalité concrète immédiate, le système désigne un ensemble abstrait, notionnel, absolument pensé, ordonné et médité par l’esprit humain, sur un « sujet » ou thème que celui-ci se crée de lui-même. C’est l’exemple des doctrines politiques ou religieuses, des « systèmes » philosophiques (éthiques, esthétiques, etc.), y compris des théories scientifiques. Dans tous ces cas, ce qu’élabore la pensée humaine n’est pas sans rapport avec les réalités qu’elle définit et qu’elle analyse de haut, pour mieux se représenter leurs éléments, leurs fonctions et leurs liens ; mais il s’agit là d’essais sur le Réel, et rien ne dit que ce Réel est lui-même organisé selon le modèle inventé par notre esprit pour en rendre compte de façon cohérente. Et si l’on juge qu’il y a excès d’interprétation, que la thèse est si « systématique » qu’elle paraît déconnectée du réel, enfermée dans sa propre « logique », on incrimine alors précisément l’esprit de système de l’auteur qui la développe.

La grande question que pose la notion de système, notamment en philosophie et en sciences humaines (mais aussi bien en physique et astrophysique, dans l’interprétation de l’infiniment petit comme de l’infiniment grand), est de savoir si le « système » existe en soi ou s’il n’est que le fruit de notre invention, une carte pratique pour nous repérer dans le désordre apparent des phénomènes. L’intelligence humaine, pour « saisir » le monde, a besoin d’y reconnaître des cohérences, donc de traduire la réalité extérieure en termes de système, comme le fait François Jacob par ce titre : La Logique du vivant. L’expérimentation contrôle les faits, la théorie les ordonne en systèmes ; de nouvelles hypothèses et observations permettent de confirmer, infirmer ou parachever les systèmes d’interprétation ainsi élaborés, et ainsi de suite.

Il y a donc bien, et constamment, « du système » dans l’ordre des choses ; mais il ne faut pas confondre les systèmes réels selon lesquels s’autogouverne l’univers dans ses multiples dimensions avec les systèmes provisoires de représentation par lesquels nous tentons d’en rendre compte.

Mais si de tels systèmes existent, dans l’ordre des choses comme dans la nature de nos connaissances, il faut sans doute en conclure qu’il y a de profondes similitudes entre la Réalité du monde et l’Organe humain qui a le pouvoir, en en structurant la connaissance, de les « comprendre ». Après tout, les structures du réel objectif et celles de notre cerveau qui connaît, sont le produit du même monde, des mêmes lois.

Connaître, ce serait alors simplement, à chaque fois, repérer et retrouver les profonds isomorphismes naturels qui existent entre nos structures cérébrales et les systèmes de l’univers, qui nous « comprennent » tout comme nous les « comprenons » (Pascal1).

Je ne sais pas trop si vous saisissez tout à fait ce que je veux dire. Moi non plus d’ailleurs, en essayant de me relire...

Si donc vous pouviez m’expliquer simplement ce que je viens de songer, je vous en serais extrêmement reconnaissant.

Le Songeur  (19-04-2018)


1      Cette vérité vaut sans doute pour bien d’autres animaux que l’être humain. Je suis toujours émerveillé de voir avec quelle précision un chat saute du sol sur un rebord de fenêtre de plus d’un mètre, et s’y pose en douceur, avec une étonnante souplesse et efficacité de moyen. Quelle économie d’énergie musculaire ! Comment a-t-il pu, en une seconde, envisager, calculer, anticiper puis réaliser cet acte ? Quel étonnant passage du virtuel au réel !

Mon chat n’a apparemment pas « réfléchi », comme le ferait un perchiste qui mesure les distances, photographie et analyse ses mouvements, travaille sa technique longuement, parfois même avec l’assistance d’un ordinateur. Non : le chat semble disposer, greffé sur son pur instinct animal, d’une sorte de « logiciel » évolutif qui lui permet de s’autoprogrammer dans de multiples situations différentes, quoique similaires. Toutes les données de sa situation, couplées à sa connaissance expérimentale de la pesanteur et de la géométrie spatiale, sont prestement traitées par ce logiciel interne qui a « copié-collé » les lois du « système » qui régit son environnement, en les adjoignant aux structures héréditaires de son petit cerveau. Celles-ci étant d’ailleurs elles-mêmes le résultat, au fil de l’évolution de son espèce, d’un inlassable formatage, cette fameuse « logique du vivant » qui ne permet de survivre que si l’on en intériorise les codes.

Énigmatique chat ! Tout se passe donc comme si son cerveau avait si bien miniaturisé, en lui-même, l’univers entier avec son engrenage de systèmes, qu’il peut instantanément simuler toute conduite dans cet espace intérieur, pour aussitôt la programmer et l’essayer dans le Réel.

Pour bien s’intégrer dans l’Univers, il faut avoir intégré l’Univers en soi.

Ce qui vaut évidemment pour l’homme. Les Anciens postulaient à juste titre l’équivalence entre le microcosme (humain) et le macrocosme spatio-temporel. Partout jouent les mêmes lois du Système : le Tout et les Parties ne cessent de se ressembler, de se générer et de se dupliquer mutuellement, selon les mêmes logiques. La connaissance poussée de la moindre partie rejoint et recèle toujours la vérité du tout. De même que Pascal disait : « Ce n'est pas dans Montaigne, mais dans moi, que je trouve tout ce que j'y vois », tout être humain qui connaîtrait à fond la nature et les lois de son cerveau comprendrait ipso facto le système même de l’Univers et de ses codes dont il est né. Et sans télescope… Après tout, ce qu’ont découvert Albert Einstein et Stephen Hawking, pour l’essentiel, c’est dans les espaces intersidéraux de leurs propres cervelles qu’ils l’ont trouvé.


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