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Les Jeudis du Songeur (120)

DU DÉSIR D’ÊTRE PAPE

Je songe qu’il est très important de tirer au clair cette terrible envie que j’ai toujours eue, comme beaucoup d’autres : le désir d’être Pape. Ou, faute de le devenir, de me prendre pour. C’est un péché, je le sais. Il a été stigmatisé en ces termes par l’un de mes meilleurs amis, qui maîtrise parfaitement la langue de Tacite : Peccatum adfectationis papalis auctoritatis.

Mais d’où peut donc nous venir une pareille Tentation ?

Et d’abord, pourquoi ce désir d’autorité-là, plutôt qu’un autre, comme de se prendre pour Napoléon, la main sur le bidon, ou de se prendre pour le Messie lui-même, rayonnant sur la Croix ?

La réponse est dans la question : 1/ Personne ne désire passer pour fou, en singeant Napoléon. 2/ Personne n’a envie de se faire clouer sur le bois, c’est trop cher payé l’Auréole éternelle du Verbe divin.

Alors, alors, tant qu’à ambitionner d’être l’un des grands Manitous de ce monde, pourquoi ne pas choisir d’être enfin Pape, ou passer pour tel, prophétisant de bulle en bulle du haut de la place Saint-Pierre, sans avoir à répondre de ce qu’on profère, puisque c’est l’Esprit qui l’inspire ! Quoi de plus glorieux et de plus confortable, pour qui demeure, comme la plupart des hommes, fixé au rêve infantile de Toute Puissance ?

Le doux désir d’être Pape, sous une forme ou sous une autre, est en effet fort répandu. Interrogez vos songes. Relisez les grands textes. S’il est quasi impossible pour le mécréant moyen (un vrai chemin de Croix !) d’accéder au trône de Souverain Pontife, au moins peut-on tenter de se trouver d’autres formes de papauté. Inutile de rallumer la guerre des Papes, entre papes et antipapes s’excommuniant mutuellement, au sein d’un catholicisme qui se déchiquette. Mieux vaut se chercher ailleurs un empire concret ou symbolique. Il en est d’innombrables. Il en est de célèbres.

Par exemple, savez-vous comment le héros de La Chute, un certain Jean-Baptiste Clamence, qui se définit lui-même comme « prophète vide pour temps médiocres », put exercer un étrange pontificat, à la fin de la Seconde guerre mondiale ? Il se trouvait en effet incarcéré à Tripoli par les Allemands, dans un camp de prisonniers où la chaleur était intense, et l’eau rationnée. C’est alors qu’un de ses camarades, un peu dément, le fit désigner Pape par la Communauté des prisonniers, car il fallait une Autorité pour régler leurs différends, et surtout, distribuer équitablement les rations d’eau, en s’adaptant à l’état de santé de chacun. Charge délicate et piégée, car la tentation de favoritisme menaçait. Si bien qu’un jour, alors qu’un des prisonniers était à l’agonie, trouvant inutile de gâcher sa ration d’eau, Clamence se l’accapara : « J’ai bu l’eau, cela est sûr, en me persuadant que les autres avaient besoin de moi, plus que celui-ci qui allait mourir de toutes façons, et que je devais me conserver à eux.  » Ah, qu’il est difficile d’être Pape sans être un peu jésuite ! Le personnage de Camus, tout en convenant de sa culpabilité, ne manqua pas pour s’excuser d’insister sur la complexité de l’exercice papal. Compte tenu de toutes les compromissions qu’exige un tel état, « Il faut pardonner au Pape », conclut-il.

Étrange histoire, sans doute issue d’un fait réel. Mais qui ne manque pas de nous édifier sur la vocation papale. Entre le Créateur et les créatures, le Pape est le grand médiateur, celui qui distribue l’Eau de vie qui étanche la soif, la Vérité qui nourrit l’esprit, et la Grâce qui comble les âmes. C’est lui qui détient les clefs du garde-manger céleste. Mission impossible s’il en est !

Venons-en à mon propre cas, dont je vous dois la confession en espérant votre pardon. Oui, j’ai voulu être Pape. Oui, j’ai résisté à la tentation. Encore que… Car le simple désir d’écrire pour être lu (écouté, commenté, admiré) est déjà l’expression d’une prétention pontificale. Or, voici qu’un destin imprévisible m’a pris au mot de mon envie. Sans avoir fait la moindre manœuvre pour devenir Pape, je me découvre prédestiné au péché d’usurpation d’autorité papale.

Et cela ne date que de quelques jours !

Vous en doutez ? Eh bien lisez donc ce que l’on vient d’écrire à mon sujet :

Le pape de l'antipub

Cet article, paru dans La Décroissance, le 3 février (malgré la coquille « Mars 2017 »), est de Jean-Luc Coudray que je ne connais pas personnellement. Il rapporte ce que tout le monde sait depuis 20 ans, et dont j’ignorais la réalité : je suis en effet Pape ! C’est écrit. Plus de trente mille personnes sont au courant. Et moi, moi, je n’ai pu m’empêcher de verser quelques larmes de joie et de honte devant cette consécration inespérée. De joie, car j’étais intronisé « Pape (de l’Antipub) ». De honte, car j’ai eu le sentiment, devant l’accomplissement de ce désir inavouable, d’avoir succombé au mal à mon insu.

Je suis peut-être en état de péché mortel ! Que faire ?

Me confesser ? Faire pénitence ? Renier cette promotion ?

Je viens d’aller prendre conseil auprès d’un ami fidèle, un Vrai Camarade (ce sont ses initiales), Docteur en théologie, morale et psychanalyse à ses moments perdus.

Voici la transcription brute de notre échange, à laquelle je n’ajouterai rien.

« — Mon Père, lui dis-je – bien qu’il soit plus jeune que moi –, j’ai péché par orgueil.

Mon fils, répondit-il avec une bienveillante ironie, j’ai peine à le croire.

Peccatum adfectationis papalis auctoritatis !

Ah ! Vraiment ? Vous vous êtes pris pour le Pape ?

En quelque sorte, et presque malgré moi.

Mais voyons, ce n’est rien, mon ami ! Tout juste un péché véniel, un péché mignon. Ou alors, il faudrait damner la plupart des mortels ! Qui n’a pas jamais commis cette faute en pensée, sinon par action ? Moi-même, il y a une dizaine d’années, je m’étais pris pour « le Pape de la Décroissance ». Et j’en suis revenu, vu le nombre d’antipapes qui ont voulu m’excommunier.

— Vous me rassurez ! Mais êtes-vous êtes certain de ce que vous avancez ?

— En vérité, en vérité, je vous le dis : le seul cas où il peut y avoir Gravissime Péché, c’est lorsque le Pape lui-même se prend pour le Pape.

— Comment cela ?

— Il faut savoir qu’un Pape authentique ne se prend jamais pour le Pape. Il se sait trop pêcheur, trop sujet à l’erreur, quand bien même il prie l’Esprit de bien l’inspirer. Et lorsqu’il lui arrive de rappeler les données fondamentales de la foi, c’est toujours en tant que Serviteur des Serviteurs, dans la plus sublime humilité.

— Il est vrai. Mais alors, qu’est-ce qu’un Pape qui « se prend pour le Pape » ?

— C’est celui qui, imbu de son autorité sur le monde, profère à tour de bras des sentences, des dogmes, des condamnations absolues, confondant ses humeurs et ses fantasmes refoulés avec la voix de l’Esprit-Saint, et fustigeant sans fin les créatures, comme pour flatter le Créateur !

— Mon Dieu ! Je comprends, je comprends. Mais c’est peut-être une erreur plus qu’une faute. Pourquoi serait-ce un Péché mortel du Souverain Pontife ?

— Tout simplement parce que, vu sa position romaine de Communicant Suprême, la moindre de ses conneries devient ipso facto universelle ! »

Le Songeur  (16-02-2017)



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